Marie's quiltMarie's quiltMarie's quilt
Art textile
QUI A PEUR DU MOT PATCHWORK ?
par Jacqueline Fischer

On va partir d'un constat simple :

La difficulté qu'il y a pour un(e) artiste textile à dire en France et en ce début de XXI siècle : «Je fais du patchwork». Il est conseillé faisant cet aveu de baisser les yeux et d'adopter un profil bas. Et d'ajouter aussitôt pour se dédouaner :
«Oui, mais je fais aussi de l'art textile», comme si le patchwork ne pouvait absolument pas en être.

J'imagine mal un peintre avoir peur d'admettre qu'il pratique surtout la gouache ou l'aquarelle ou un écrivain reconnaître avec réticence qu'il écrit surtout des romans.

Pour la raison évidente que roman et aquarelle ne sont pas perçus (ou plus perçus) comme des genres mineurs dans leur «art» de référence.

Mais le patchwork, oui.

Le grand public manifestera souvent son ignorance par un «tu fais du quoi ?» ou bien évoquera tout aussitôt ces couvertures en crochet qui florissaient dans les années 1970, ou bien encore des tissus moches avec un carré à pois, un autre à rayures et autre fleuri, prétendument «coordonnés».

Les personnes qui ont voix au chapitre en matière d'art - sauf rares exceptions - oscilleront entre le mépris, la franche ironie ou la bienveillante commisération. Mais même dans ce dernier cas, on fera rarement l'effort d'aller voir de plus près ce que font ces créateurs - qui sont majoritairement des créatrices - de ces surfaces d'étoffes. A priori sans intérêt... On ne mélange pas les torchons avec les toiles de maître...

Je me suis donc demandée ce qui produisait cet effet rédhibitoire et cette méconnaissance que je trouve injuste.

D'abord le mot patchwork n'est pas très harmonieux en lui-même et pour peu qu'on veuille évoquer sa qualité d'artiste en cette discipline on devra éviter le désastreux «patchworkeuse» pour le remplacer par «quilteuse», quoiqu'un quilt ne soit pas tout à fait un patchwork et que seuls les spécialistes connaissent le mot.

De plus dans la langue courante, il prend facilement des connotations péjoratives. Dès on évoque» un patchwork de...», c'est pour imaginer tout aussitôt un assemblage assez hétéroclite d'éléments qui dissonent.

Tout le contraire précisément de ce que cette activité a été dès ses origines : l'art d'harmoniser précisément ce qui n'avait pas été créé pour aller ensemble.

On dit aussi souvent qu'à la différence des pays anglo-saxons, et notamment des USA, la France n'a pas de culture du patchwork. On trouve pourtant dans certaines abbayes ou chez certains collectionneurs de magnifiques pièces exécutées à partir de morceaux, parfois superbement rebrodés. Car le patchwork a une histoire, y compris chez nous, et même si elle est beaucoup moins connue que celle d'autres arts mieux estimés, on s'y aperçoit de sa prodigieuse variété, voire complexité(1) et s'y initier amènerait à ne pas réduire ces surfaces d'étoffes à l'idée caricaturale qu'on s'en fait.

Quand on enseigne les arts plastiques, on n'a donc pas à se soucier de cette branche de l'art textile, perçue au mieux comme un artisanat d'art «appliqué» au pire comme de l'ouvrage de dame et on se tournera automatiquement vers les plasticiens en textile plus éloignés par leur pratique de quelque chose de «féminin», plus fait pour occuper les doigts que véritable création à valeur artistique.

Pas question de trouver mention de cet art dans une histoire de l'art. Sauf comme référent d'inspiration pour un mouvement comme le Pattern painting dans les années 70. Le patchwork ne deviendrait donc de l'art que lorsqu'il n'est plus exercé par des femmes qui en maîtrisent les finesses, mais que d'authentiques artistes reconnus comme tels s'en empareraient. Mécanique qui fonctionne aussi dans la corporation : plus facile de s'y faire reconnaître si on est déjà peintre plasticien et qu'on se penche sur les tissus, les valorisant avant même d'y toucher par sa pratique d'art noble, que si on y accède, plus humblement par le biais...de la couture. A moins que celle-ci ne soit Haute, bien entendu.

C'est vrai qu'on a souvent créé des patchworks pour servir de couverture, mais on ne voit pas en quoi un objet utilitaire ne pourrait pas à notre époque et après le «ready made» trouver droit de cité dans une galerie ou un musée. C'est une surface exposable. Et même si on peut dormir dessous, ça n'empêche pas automatiquement d'y trouver ce qu'on analyse ailleurs : une composition, des couleurs, et même des jeux de motifs recomposés, du relief et des textures. Il suffirait de l'exposer à la verticale sur un mur dans un lieu consacré à l'art, le vrai, le grand pour -peut-être- s'en apercevoir.

«-Ah mais, me dira-t-on, à la rigueur au musée des arts décoratifs». On sait assez bien combien le terme «décoratif» est senti comme une infériorité dans la hiérarchie imposée au regard. Comme si ce qualificatif ôtait tout droit à une signifiance, c'est-à-dire une capacité de l'oeuvre à être lue et interprétée de différentes manières. Il suffirait de s'y essayer pour voir si c'est possible, plutôt que de coller des étiquettes qui dispensent de tout vrai regard.

Cela dit, il faudrait que ce regard soit sûr que ce qu'il voit est bien une création et pas un décalque d'un modèle déjà existant, voire une copie pure et simple. Et là j'admets aisément que ce n'est pas facile.

Bien sûr il existe depuis les années 1980 et grâce notamment aux clubs indépendants de patchwork et à l'association France Patchwork de nombreuses expositions, attirant un public de plus en plus nombreux.

Mais ce public ne sait pas toujours faire la différence entre une oeuvre copiée d'après un modèle existant et une création Le stade intermédiaire étant l'interprétation plus ou moins personnelle d'un modèle existant.

Il serait extrêmement important que l'honnêteté règne et qu'on reconnaisse, dès qu'on expose, montre ou publie y compris sur internet, ses sources d'inspiration quand on en a et qu'elles sont aisément discernables. Ce le serait d'autant plus que les modèles abondent, et que les copies de ces modèles pullulent sans que mention de l'oeuvre d'origine soit toujours faite. Il serait aussi important qu'on ne confonde plus celles qui composent à partir de ce vivier qu'est la tradition, au prétexte qu'elles n'inventent pas tout ( !) et celles qui copient les créations des premières.

Or, si on se tait sur ses sources pour laisser croire qu'on a composé soi-même ce qui doit tant aux idées et à la conception de quelqu'un d'autre, c'est ce qui se produit. C'est de plus un facteur de dévalorisation de la créativité de celles qu'on imite, puisqu'on ne va établir aucune différence entre la composition authentique et sa «démarque».

lI y faudrait aussi une ouverture d'esprit dans les jugements et sélection des critères de «bien cousu» «mal cousu» qui n'ont aucune signification dans une optique dite artistique. C'est à l'artiste de choisir s'il va se plier à une recherche de la perfection ou s'il va s'en éloigner pour exprimer autre chose. En cet art comme en beaucoup d'autres distinguer la prééminence de la forme sur le fond conduit jusqu'à la négation du second au profit exclusif de la première. C'est en quelque sorte le vider de son sens avant même qu'on ait pu se demander s'il en a un.

Trop de rigueur en ce domaine incite à une conception sclérosante et étroite de la création. Cela maintient notre art en esclavage, celui d'une norme de «couture» qui se justifie davantage pour un vêtement que pour une création libre. C'est le ramener précisément à sa valeur «décorative-utilitaire» sans échappatoire possible.

On observe aussi une fuite vers tout ce qui éloigne de l'art du patchwork dans sa particularité originelle. On a d'abord inventé le «contemporain», puis le quilt dit d'art -comme si tout ce qui se fait en appui sur la tradition, mais en la métamorphosant et la maintenant vivante, ne pouvait être ni contemporain, ni artistique- puis l'art textile catégorie un peu fourre-tout, où on a droit de cité, pourvu qu'on utilise un peu le tissu et le fil.

Et par voie de conséquence, l'évolution étudiée sur ces vingt dernières années montre qu'on a tendance à abandonner :

-la structure géométrique répétitive et régulière qui assimile cet art à la mosaïque et la marqueterie. Il est même écrit à peu près partout qu'on devient artiste dès qu'on abandonne ces structures, en user serait un stade bon pour les débutantes, corollaire automatique d'un manque d'imagination. L'équation «géométrie régulière et/ou répétitive égale tradition, égale copie ou «resucée (sic) sans imagination» est inscrite un peu partout dans l'esprit des pratiquantes elles-mêmes.

On ne concède le droit de revenir à la géométrie que pour copier l'ancien, ou se reposer avec sa prétendue «facilité».

A mon avis, outre que c'est d'un simplisme navrant, c'est encore mal connaître le pouvoir d'expression que recèlent les géométries plus ou moins régulières - un premier infini- croisé avec la variété des étoffes - un deuxième infini. Comment ces deux infinis conjugués pourraient-ils être épuisés ? Ce qui s'épuise, en revanche, c'est l'envie de les utiliser, parce qu'on sait qu'on va passer beaucoup d'heures sur quelque chose qui sera dévalué avant même d'être regardé. Ou jaugé à la seule régularité des points de couture. Ou encore confondu avec la copie d'un modèle.

- l'usage de tissus faits dits «commerciaux» auquel s'oppose le tissu peint ou teint par l'artiste (et même la fuite du tissu tout court, utiliser le plastique, par exemple, matériau plus récent étant évidemment gage d'une innovation ...en textile ?)

Au train où cet art évolue, certains artistes textiles sont déjà beaucoup plus des peintres et des plasticiens de techniques mixtes que des artistes du tissu. Ouverture intéressante, enrichissante, qui n'est pas en soi condamnable, bien entendu, mais là où le bât blesse c'est quand elle est présentée comme une supériorité. On est «plus artiste» en créant de l'art textile qu'un «banal» patchwork.

On peut se demander si on ne témoigne pas aussi de la crainte qu'on a d'utiliser du tissu assemblé pour s'exprimer et surtout de s'en servir d'une manière qui ferait «couverture décorative».

Un art du tissu -et non pas forcément un art textile- reste sans cesse à refonder. Et à défendre. Le meilleur moyen, à mon sens est de l'illustrer par des oeuvres ou des ouvrages personnels, encore faut-il qu'on leur permette d'être regardés en dehors des milieux fermés qui leur sont consacrés.

Il existe bien des musées pour le patchwork, des revues de patchwork, de temps à autre un article sur le patchwork dans une revue d'art, mais ce sont un peu des «ghettos» culturels. Une place réduite et assignée. Jusque là, mais surtout pas plus. Restez où vous êtes. Presque un préjugé nobiliaire.

Il existe bien des galeries d'art s'ouvrant à l'art textile, et c'est une excellente évolution ; mais on a l'impression que si on y entrait avec un quilt géométrique sous le bras -fût-il une création authentique-, on se sentirait là comme en fraude, en crime de lèse-art «véritable».

Rares sont également les galeries virtuelles qui acceptent des patchworks comme des oeuvres d'art.

Il faudrait donc une modification et de la pratique de certain(e)s

et de leur propre regard sur ce qu'elles/ils n'osent pas considérer comme autre chose que du «bricolage à vocation pratique» et du regard de beaucoup d'autres, critiques, galeristes ,enseignants, un effort vers une connaissance ,c'est-à-dire une absence de préjugés et d'a priori, qui est la base de toute reconnaissance, pour qu'on n'ait plus peur de se dire «artiste -en patchwork» comme on se dit «artiste-peintre». Et ce, quel que soit le genre de surface qu'on choisit, dans cet art, de créer.

_____________________

(1) On lira avec profit à ce sujet «le patchwork ou la désobéissance» de Claude Fauque et Marie-Noëlle Bayard Syros -alternatives 1993


Jacqueline Fischer

Jacqueline Fischer, professeur de Lettres, a deux passions : les mots et les tissus. Elle travaille sur les uns et les autres alternativement, mais essaye aussi d'établir un lien entre ces activités.

Voir également:

- la galerie d'art textile de Jacqueline Fischer
- Art textile et poésie
- Textile et textes
- Estampes numériques



Vos impressions ? :



Created : 1998/01/25 - mise à jour : le 22 02 2009 Nippon Info O.T. / © 1996-2011 All Rights Reserved.