Variations sur le rouge et le gris
Cet ouvrage, témoin d’un épisode désagréable de ma vie survenu il y a quelques années, n’étant pas tout à fait fini, est resté longtemps bien caché sous la pile des projets à mener à bien
…Je pensais ne jamais le terminer…
A l’ époque de sa réalisation, la mise en vente de l’appartement parisien que nous louions depuis plus de 20 ans et les déboires qui s’ensuivirent, nous obligèrent à aller en justice pour faire respecter nos droits
Pendant de longs mois, la colère et la révolte contre l’iniquité et l’attente de la sentence du tribunal alternaient avec des temps de lassitude mais aussi d’espérance
Comme j’avais besoin d’un dérivatif pendant cette période pleine d’anxiété, j’ai commencé à découper des tissus sans avoir la conscience nette de ce que j’allais faire
Mon envie irrésistible de tissus gris pouvait-il appeler autre chose que le rouge pour complaire à mon état d’esprit ?
J’ai quand même choisi le modèle appelé Churn Dash ou encore Indian Hammer, nom qui convient plus au résultat !
Ce modèle me plaisait depuis longtemps, mais en choisissant une variante de ce bloc classique, et en amenuisant les rectangles des côtés, je l’ai rendu plus incisif
J’ai cousu fébrilement les blocs pendant les préparatifs du déménagement, en laissant mes mains travailler machinalement, puis j’ai enfoui le top obtenu dans un carton qui est resté fermé pendant deux ans (la suite de mon aventure racontée ici)
Voilà quelques semaines, lors de rangements, mes enfants ont trouvé cet ouvrage qu’ils n’avaient jamais vu et sont restés interloqués devant sa violence « rouge sang » mais ils l’ont aimé finalement au contraire de mon mari qui ne l’apprécie toujours pas !
En définitive, à sa demande, il échoit à mon fils !
Mon amertume s’étant apaisée avec le temps, j’ai donc décidé, au début à contre-cœur, de le terminer, je lui ai ajouté une bordure et je l’ai quilté
Au fur et à mesure du quilting, il a finalement réussi à ne pas trop me déplaire !
Beaucoup de gris, clairs et foncés, tous différents ainsi que les rouge vifs tous différents aussi, mais ceux là majoritairement en tissus pour patch américains
J’ai puisé abondamment dans mes réserves de tissus français « vintage », parce qu’en général, le gris y est une teinte assez répandue
Ainsi les fonds des blocs sont tous gris clair, quelquefois gris-bleuté, tissus français datant d’une bonne trentaine d’années
Les blocs alternent les couleurs dominantes du motif, tantôt un centre rouge bordé de gris, tantôt un centre gris avec le rouge
Les bandes autour des centres du motif ont apporté quelque douceur avec des roses grisés
Je suis maintenant consciente que les grands triangles gris et rouges sont agressifs, semblables aux pointes de flèches cependant elles restent tournées vers le cœur du motif
Le montage des blocs carrés sur la pointe aussi est classique, aux intersections des bandes grises d’entre-deux, j’ai ajouté des petits triangles gris et rouges qui ponctuent plus calmement l’ensemble du top, c’est aussi un procédé largement employé
Le tissu des bandes de séparation gris foncé, des grands triangles gris clair des côtés ainsi que la bordure gris foncé est une satinette, récupérée dans le stock d’un couturier italien et destinée aux doublures de costumes masculins, pas très solide, je le crains, mais c’était une excellente occasion de l’utiliser !
Sur ce tissu à la trame bien serrée le quilting était beaucoup plus aisé en lignes en biais…
Comme je me suis obstinée à quilter la bordure en lignes droites, les points sont loin d’être parfaits, mais comme je ne travaille pas pour les expositions, ce problème en définitive n’est pas très important
La bordure qui ferme le quilt ne pouvait qu’être rouge vif bien sûr !
Le quilting est fait avec un fil tout coton gris clair, comme il vrillait beaucoup, je l’ai passé sur un bloc de cire afin de lui donner de la tenue et éviter les nœuds intempestifs pendant le matelassage
La doublure est un assemblage de deux tissus gris différents, avec une étoffe tissée de carreaux gris et blancs, là j’ai évité le rouge !
Mes quilts sont toujours attachés à des épisodes de ma vie, ils reflètent plus ou moins bien mon état d’esprit d’un moment, trop personnels en tout cas pour être des décalques des ouvrages proposés dans les revues ou les livres
Heureusement pour l’instant, dans sa conception, celui-ci est resté unique !
Un peu de rouge … pour beaucoup de vert !
Je crois Marie-Claude que ce quilt montre magistralement que ce qu’on étiquette « classique » et « traditionnel » avec arrière-plan de « c’est forcément juste décoratif » peut être à la fois et de la belle ouvrage et une expression très personnelle de nos vies, de nos pensées , même si beaucoup de personnes ne voient dans ce que nous faisons que de « jolis » plaids ou couvertures.
Ton article explique pleinement que dans nos quilts qu’ils soient inspirés d’un bloc traditionnel ou non nous mettons notre âme, notre vie. Et chacune à notre façon …
Merci Jacqueline, mais cette manière de nous exprimer est sûrement dérangeante …En tout cas, ce quilt là ne servira pas de plaid pour le canapé !
Heureuse de vous retrouver Marie Claude!
Oui, ce quilt reflète bien la violence de la révolte; il fera date dans l’histoire de votre vie.Votre fils qui l’a adopté y verra sans doute d’autres significations, c’est le destin des oeuvres d’art! J’imagine que le fait de l’avoir mené à son terme est pour vous un soulagement: voici un épisode difficile qui s’achève et de façon finalement positive.
Ceci dit, l’injustice dont vous avez été victime n’est pas acceptable.Je connais au moins deux autres personnes à Paris qui ont été confrontées aux « ventes à la découpe » et qui ont dû comme vous quitter un logement occupé depuis longtemps parce qu’elles ne pouvaient le racheter- si c’est bien de cela dont il s’agit pour vous.Scandaleux!
Oui Françoise, c’est cela, de grosses sociétés immobilières ayant reçu de l’état dans les années 1970 d’importantes subventions pour construire des logements à Paris, s’en débarrassent afin de ne pas entreprendre les réparations devenues nécessaires…Et cela sans respecter les baux en cours !
Plusieurs personnes ayant acheté leur logement, par peur de déménager dans une contrainte source d’angoisse, y ont laissé toutes leurs économies dans les changements inévitables d’ascenseur, chaudières, fenêtres, etc…
Comment s’étonner que Paris devienne une ville-musée quand les habitants sont forcés de partir ? Que restera t-il ? Des appartements de luxe, peu habités par leur propriétaires étrangers et des HLM plutôt confortables dont l’attribution obéit à des règles de népotisme… oui vraiment lamentable
Quant au quilt, mon fils adolescent à cette époque, m’avait beaucoup soutenu dans ces épreuves…Je pense qu’il veut m’ôter un sujet douloureux…Mais le temps a passé, et la vie continue
je le trouve « fort » comme on le dit d’un alcool…un peu d’ivresse dans ce travail splendide
je ne sais ce qui est traditionnel ou classique…j’aime tout simplement
Bon Jour
Merci Marie-Hélène, si je mentionne que je m’inspire d’un modèle dit classique, c’est pour prouver que ce genre de modèle, mille fois vu, peut encore être le support de son imagination, de sa personnalité, de son propre sens des couleurs et de son « vécu »
Bonjour Marie Claude.
pas du tout agressif ce chef d’oeuvre..
Vous le voyez comme ça car il devait être un défoulement. mais quel résultat vivant.
Ce quilt m’a servi de repoussoir pour m’empêcher, je suppose, de gifler l’agent immobilier auquel j’avais affaire ! Restant entaché de tels souvenirs, je le trouve, ce quilt, toujours aussi amer
Moi je trouve qu’il a du chien !
Bonjour Marie-Claude,
Il est très beau ce quilt, même si, en ce qui me concerne, je le trouve aussi très fort et même violent.
Peut-être aussi que ce mélange de rouge et de gris est une association de couleurs plus masculine, plus guerrière.
Il est bien certain que ce quilt va avec son histoire en tout cas.
Bien à vous.
Merci Catherine, oui c’est cela ! Ce quilt reflète bien mon humeur guerrière de ce temps là ! Je me suis battue contre des moulins à vent hélas !
Ah oui, je me souviens bien de cette période, ayant vécu la meme chose en 1980, je n’oublirai jamais la TROUILLE qu’on a eu et l’attitude pitoyable d’une propriétaire qui voulait qu’on parte dans le mois suivant avec deux petites de 8 et 3 ans… Plus jamais ça, et pour personne…. Je pense aussi qu’il est temps de se voir , n’est ce pas? Que de choses à se raconter….
Hélas, c’est une histoire qui se répète tous les jours…Que faire contre des gens pour qui l’argent est le seul critère, et qui leur donne de tels pouvoirs ?
Les tribunaux dans ce cas-là ne sont pas tous exemplaires, surtout quand la juge n’est manifestement pas encline à entendre la plaignante, mais là j’ai retenu ma langue pour ne pas aggraver ma situation !
Chère Will, reprendre nos conversations ? Mais oui ! Avec grand plaisir !
Bonjour Marie Claude,
En regardant à nouveau ce chapitre de votre blog, je me pose une question:
la statue de femme sur la première photo, qui représente-t-elle? On dirait qu’elle enfile une aiguille…Mais je vois mal, sans doute!
Oui Françoise, c’est bien une femme qui coud ! Comme elle est plutôt d’un âge avancé, elle tient son ouvrage assez près de ses yeux, un peu comme moi en somme !
C’est une statue d’un illustre inconnu, sûrement un Asnièrois, auquel la municipalité ne rend que très peu hommage puisque son nom n’est même pas mentionné
Je trouve cette œuvre assez fruste, la pierre n’est pas belle, mais elle me touche quand même…vous comprenez pourquoi !
Il fallait que ta rage sorte,ce qu’elle a fait magistralement ! Oui, ce quilt est agressif à mes yeux et prend tout son sens dans son contexte, proprement scandaleux. Curieusement (couleurs complémentaires ?)le quilt s’apaise entouré de vert. Et j’admire ton intuition pour le quilting, peu complexe quand on le regarde, mais si savamment dessiné que le matelassage des bandes foncées, en losanges, donne de la rondeur aux Indian Hammers, comme une touche finale de douceur puisqu’il est destiné à ton fils.
Heureuse aujourd’hui de pouvoir te lire, frustrée que j’étais de ne pouvoir accéder plus de 5 secondes aux blogs depuis des orages début août…
Merci Katell, les photos sont difficiles à rendre les lignes de quilting sur l’ensemble du quilt qui, en effet apportent un semblant de rondeur aux blocs
J’aime bien les dessins de lignes droites agencées de telle sorte que l’œil perçoit des courbes là où il n’y en a pas !