Un artifice plaisant au Kabuki consiste au changement de costumes sur scène, les acteurs souvent aidés par des auxiliaires discrets habillés de noir actionnent des systèmes de cordons judicieusement placés afin de révéler soudainement un kimono de dessous chargé exprimer un violent changement de situation ou d’humeur
Dans une histoire de séduction et de ressentiment, le personnage principal fait tomber le haut de son kimono pour révéler le vêtement de dessous peint et brodé de flammes ardentes afin de manifester sa colère et sa folie vengeresse
Un des plus extraordinaires costumes est celui du héros de la pièce « Shibaraku » c’est à dire « Un instant ! »…qui relate l’affrontement d’un justicier surhumain avec un usurpateur du pouvoir impérial, le titre de la pièce vient de l’interjection lancée d’une voix puissante par le héros sauvant ainsi de la mort un samurai fidèle à l’empereur
Le personnage porte un costume démesuré démontrant qu’il possède des pouvoirs surnaturels, plusieurs épaisseurs de vêtements matelassés surmontés par un vaste manteau aux manches imposantes lui donne une ampleur tout à fait exceptionnelle
Ce costume lourd et encombrant, seulement porté par les meilleurs acteurs, est frappé sur les grandes manches du Mon (trois boîtes carrées concentriques pour mesurer le riz) les armoiries de la famille de l’acteur phare du début du Kabuki, Ichikawa Danjûrô, et toujours arboré par ses descendants
C’est l’un des personnage emblématique du Kabuki le plus abondamment représenté sur les estampes d’acteurs pendant près de trois siècles, son maquillage rouge, inspiré par la tradition du théâtre chinois, signifie son appartenance au monde surnaturel mais protecteur, contrairement aux grimages bleus des esprits malfaisants
Les pièces de Kabuki durent plusieurs heures, des intermèdes comiques servent à apaiser la tension dramatique de l’action principale
Le décor du kimono aux coquillages et à l’impressionnant poulpe rose qui enserre les épaules de l’acteur fait allusion par un jeu de mots au surnom du personnage, les spectateurs repèrent immédiatement que le rôle est celui d’un bouffon ridicule
Le papier japonais Washi est doux, souple et surtout très résistant, il sert à confectionner nombre d’objets usuels, aussi n’est il pas trop étonnant qu’un costume soit fabriqué dans cette matière
Le personnage d’un jeune amoureux qui se retrouve déclassé socialement après des circonstances malheureuses porte un Kamiko, kimono en papier semblant constitué de lettres d’amour cousues ensemble, même si ce costume est remplacé maintenant par un kimono de soie brodé de lettres, il appelle le sentiment d’apitoiement des spectateurs, toujours férus de romantisme, sur le sort du héros
Si les costumes habituels des pièces classiques du Kabuki affichent souvent une fantaisie assumée, une intéressante exploration dans l’univers des textiles de l’époque Heian a permis de recréer les tenues authentiques portées par l’aristocratie de la Cour si raffinée de cette époque
Les personnages féminins de la pièce évoquant les amours du prince Genji, d’après le roman fort célèbre Genji Monogatari, portent les Jûni-hitoe, les vêtements de la Cour de Heian aux kimonos en soie légère pouvant porter jusqu’à vingt robes amples de couleurs différentes, la superposition permettant d’obtenir de subtils dégradés de teintes délicates
Les décors des vêtements sont tissés comme pour les costumes du théâtre Nô, les tenues inspirées de la Cour impériale de la Chine des Tang sont sobres et raffinées…
… exempts de l’extravagance un rien tapageuse de ceux traditionnels du Kabuki dont le luxe réside essentiellement dans leurs broderies chatoyantes
Le Kabuki respecte encore de nos jours la tradition d’un théâtre exclusivement masculin, les Onnagata, hommes de tous âges jouent donc tous les rôles féminins et ils sont nombreux !
L’artifice théâtral suprême des plus parfaits Onnagata est de donner l’illusion de voir évoluer l’archétype d’un idéal féminin tout de jeunesse, de beauté et de grâce
On disait volontiers que les femmes venaient au théâtre dans le but d’étudier les attitudes élégantes des Onnagata pour s’en inspirer !
Un aperçu de l’art de Bandô Tamasaburô avec ce Best Off, hélas accompagné d’une musique insipide
Cette expression sublimée du corps maîtrisé de l’Onnagata, au prix de recherches et de contraintes physiques incessantes, respecte les codes anciens en usage au Kabuki pour atteindre à la plus grande perfection
Seule la virtuosité des gestes de l’acteur qui joue à l’excellence avec les accessoires du rôle, les longues manches flottantes, l’éventail, l’ombrelle ou le mouchoir, tandis que son visage reste muet, doit exprimer les affects du personnage et les mouvements secrets de son âme
La voix artificielle des Onnagata, assez surprenante à nos oreilles occidentales, serait une survivance du langage employé par les courtisanes de haut rang des quartiers réservés autrefois au délassement masculin
Les costumes féminins revêtus par les Onnagata sont d’élégants kimonos sophistiqués aux couleurs et aux décors variant selon le personnage interprété ou l’intrigue de la pièce
La tenue des Onnagata est constituée d’un si grand nombre de vêtements que l’aide d’habilleurs est indispensable pour que les changements de costume n’interrompent pas les mouvements de la danse, le remplacement se révèle à la grande satisfaction du public de façon audacieuse et surprenante
Le Furisode, kimono aux longues manches flottantes permet à l’acteur d’exécuter les danses avec grâce et élégance…
… comme dans la pièce Fuji Musume, la jeune fille portant une glycine sur l’épaule, image appréciée des peintres d’estampes et popularisée par de merveilleuses poupées
Cette danse est prétexte à de fréquents, rapides et harmonieux changements de costumes, tous sur scène, l’acteur s’abritant pour ce faire derrière l’immense glycine mauve du décor
Les accessoires sont entièrement dédiés à la glycine qui se trouve peinte-teinte sur les costumes avec la technique de Yuzen, les grappes de fleurs étant ensuite cernées par un fil d’argent
L’Obi ainsi que les ornements de la coiffure sont également décorés de glycines
L’autre danse est l’une des plus difficiles du répertoire et n’est effectuée que par un petit nombre d’Onnagata car elle demande une maîtrise exceptionnelle du fait de sa durée
Musume Dôjôji, la jeune fille du temple relate l’histoire d’une jeune femme séduisante qui, par dépit amoureux s’est transformée en dragon
Reprenant forme humaine, elle essaie de convaincre des moines de la laisser entrer dans leur temple pour pouvoir détruire encore une fois, de son souffle ardent, la nouvelle cloche dont le temple s’est doté et sous laquelle se cache le moine qui l’a éconduite
Le costume à fond rouge brodé de fleurs de cerisier exprime la jeunesse mais aussi le caractère passionnée de l’héroïne, capable de se changer en dragon quand même !
Une vidéo avec une séquence de cette histoire et un changement de costume, un jeu de balle imaginaire d’une jeune fille-dragon qui se veut séduisante et primesautière : le grand talent de Tamasaburô !
Les différents costumes à transformation qui laissent apparaître soudainement le kimono du dessous sont sur le même thème des fleurs de cerisiers, seules changent à chaque fois les couleurs du fond du vêtement
Pour compléter mon article, deux figures célèbres du théâtre Kabuki sur deux estampes achetées au Japon, il y a quelques années…
Ce sont des estampes originales de Hasegawa Sadanobu III (1881 -1963) chef de file d’une école de peintres et graveurs contemporains
Cet artiste avait une forte attirance pour le théâtre dont il a su camper avec sobriété les « Mie-e » poses avantageuses des protagonistes au milieu de l’action…
…dans une palette des couleurs subtilement équilibrée, tandis que les traits noirs propres à la gravure soulignent avec évidence l’énergie qui émane des figures
Je me suis servie pour cet article du catalogue de l’exposition et de quelques livres anciens de ma bibliothèque ainsi que, toujours, des précisions de mon époux !
Le Kabuki est passionnant mais peut être bien surprenant pour qui n’est pas Japonais, les costumes permettent une approche un peu plus familière, peut être une occasion de s’intéresser plus avant à cet art, reflet profond de l’âme d’un peuple
Additif du 6 août :
En effet, le kabuki est moins hermetique que le No…..
Dommage que le grand theatre Kabuki de Tokyo soit maintenant ferme (on le reconstruit) car j’aurais voulu y aller une autre fois ! (J’y suis allee pour une sceance d’apres-midi lors de mon tout 1er sejour au Japon)
Bisous Marie-Claude !
Le Nô est très spiritualisé et beaucoup trop long ! Restent les costumes sublimes…
Le Kabuki est très vivant, plein de bruit de fureur et de couleurs…J’adore !
Comme le théâtre à Tokyo est fermé, j’espérais une nouvelle venue de la troupe à Paris ! La dernière fois à l’Opéra en 2004, toutes les places se sont vendues en à peine 1 heure ! Mais Bandô Tamasaburô n’avait pas fait le voyage, alors je n’ai pas eu trop de regrets !!!
Dernière nouvelle au 6 août : Bandô Tamasaburô viendra à Paris au printemps 2013, j’y serais !
superbes costumes
Oui Martine, entre passionnées de textiles, et ceux là sont d’une haute expression artistique, on peut se rejoindre !
Effectivement, ils sont magnifiques et le commentaire toujours instructif. Bonne journée.
Merci Catherine, je suis contente de partager mon amour des textiles, chaque exposition est une occasion pour moi d’apprendre encore et encore …
Je me trouve à court d’adjectifs pour exprimer l’admiration que suscitent ces costumes.
Merci de nous donner envie d’en savoir davantage sur cet art si raffiné.
J’aime bien l’idée des hommes tenant des rôles de femmes, comme dans l’Angleterre élizabéthaine.
Il me semble que cela souligne la distance entre le monde imaginaire du théâtre et celui de la vie « réelle » , et que de cette distance naît la force de l’acte théâtral.
A bientôt,Marie Claude.
Même esprit dans l’opéra baroque où les femmes tenaient souvent des rôles masculins et les castrats ceux des jeunes héros virils
Hélas, le raffinement et la subtilité, qui nous éloignaient avec bonheur du quotidien, sont depuis longtemps jetés aux oubliettes
J’ai renoncé depuis quelque temps à aller à l’opéra dominé maintenant par des metteurs en scène qui y déploient leur ego surdimensionné
Comme Giulio Cesare de Haendel à Salzbourg en juin avec la divine Cecilia Bartoli (se vautrant en cuir et en nuisette) et des chanteurs admirables empêtrés dans une mise en scène où la vulgarité et la trivialité dominaient largement…
L’opéra, le théâtre, le cinéma…Où trouver maintenant le rêve et l’évasion dont on a tant besoin ?
Bonjour Marie Claude.
la toute première fois que j’assistais à un spectacle de Kabuki, c’était à Londres. La marche sur les canons des pantalons prolongés m’avais impressionnée. Là, j’étais plongée dans une autre culture.
Mais, je ne pouvais pas m’imaginer à cette époque qu’un jour je serais, moi-même, au japon.
Les costumes la splendeur même ! C’est vrai qu’il est plus *facile * de rentrer dans le Kabuki * que dans le Nô. A Genève il y a eu une exposition de costumes du Nô. La même splendeur ! Des couleurs que l’on aurait jamais osé accorder qui font parties, naturellement, de la culture japonaise.
Ah Oui, dans les costumes très amples des nobles de la Cour impériale, les pantalons étaient exagérément longs, quand ils n’étaient pas prolongés par une traîne en plus ! La débauche de tissus somptueux comme marqueur social bien semblable à nos habitudes occidentales à la même époque
Les associations de couleurs au Japon restent une fascination pour moi depuis toujours