Voyage à Nantes – Salon « Pour l’amour du fil »- Avril 2013
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L’exposition sur les Boro a laissé beaucoup de visiteuses assez interloquées, il est vrai que dans un Salon où l’on vient surtout pour trouver de quoi embellir son quotidien, une telle exhibition en guise d’alibi culturel avait de quoi déconcerter
Au Japon le mot Boro désigne des chiffons faits de textiles usés et par extension, maintenant dans le monde de l’art, les vêtements récupérés en lambeaux
J’ai déjà évoqué les textiles anciens du nord du Japon au moment d’une belle exposition dans ce même salon en 2011(ici)
Les pièces exposées à Nantes venaient d’une collection particulière, celle d’un peintre japonais Nukata Kosaku qui les collectionne pour la beauté intemporelle qu’il décèle dans ces guenilles
Ces textiles en lambeaux sont activement recherchés dans la région d’Aomori, là où quelques populations rurales les ont encore conservés, l’épargne paysanne n’ayant pas l’habitude de jeter ce qui peut encore servir
Les habitants de l’extrême nord du Tôhoku, là où se situe la préfecture d’Aomori, ont toujours été dédaigné par le reste de la population du Japon qui ne voyait en eux que des paysans mal dégrossis aux mœurs triviales et au curieux dialecte incompréhensible
De nos jours, les préjugés n’ont pas totalement disparu et un Japonais de Tokyo ou un autre résidant en France, étonné, vous considèrera avec curiosité quand vous dites que vous venez d’Aomori ! Renouvelant sans le savoir le « Comment peut-on être Persan » !
La découverte de ces guenilles qui ne pouvaient venir que de cette région déshéritée renforce le sentiment pénible des habitants d’Aomori d’être toujours pris pour des rustres arriérés, alors que beaucoup d’entre eux sont fiers d’être les descendants de farouches peuples autochtones ayant longtemps résisté aux conquérants venus du sud
La plus grande fête d’Aomori, le Nebuta (ici) qui se déroule au mois d’août est, depuis peu, connue ailleurs que dans sa région d’origine mais on a cru bon d’édulcorer sa raison d’être et ses turbulences afin de ne pas effaroucher les populations plus policées
Cette région était pauvre, tout comme l’étaient les campagnes rurales dans le reste du Japon, pareil en cela à de nombreuses régions paysannes dans le monde jusqu’au milieu du XXe siècle
Le nord du Tôhoku, où les longs et rudes hivers sont particulièrement neigeux, était une région aux moyens de communication difficiles et ce jusqu’à la fin du XIXe siècle avant que la construction de lignes de chemins de fer viennent désenclaver la province
Le climat trop froid ne permettait pas la culture du coton, seuls le chanvre et autres fibres libériennes étaient exploités afin de confectionner les textiles protecteurs indispensables
Le chanvre ne protégeant que modérément du froid, les habitants récupéraient toutes sortes de textiles que les colporteurs transbahutaient de régions en régions …
…Ainsi des morceaux de kimonos de coton, venant de régions plus favorisées dont les paysannes se servaient pour renforcer leurs vêtements, étaient très appréciés et réutilisés jusqu’à l’usure presque totale
Vivre depuis plusieurs générations dans une économie de pénurie incite à ne rien jeter, les tissus pouvant toujours servir étaient gardés dans le but de finir en chiffons d’où le nom approprié de Boro
Mais ce genre d’expositions et les articles les commentant laissent croire que tous les habitants de la région d’Aomori étaient réduits à l’état de miséreux, en réalité seule une frange de la population était si démunie qu’elle ne pouvait en effet se vêtir de façon correcte et était obligée de ravauder sans fin les pauvres vêtements récupérés
Les ancêtres de mon mari, originaires d’Aomori, sont représentatifs des habitants de la région, sans être misérables, ils partageaient le lot commun de la pauvreté mais jamais on n’a porté, dans la famille même élargie, ce genre de guenilles !
Par contre, des photos du début du XXe siècle, vues chez un antiquaire à Aomori, montrent des mendiants vêtus de ces haillons
Dans ma famille à Aomori, les vêtements élimés finissaient en tenues de travail puis en chiffons qui servaient à protéger les objets remisés au dehors ou encore à éponger la neige ou la pluie sur les bottes dans l’entrée de la maison
J’ai d’ailleurs réussi à récupérer ainsi de vieux tissus destinés à finir en chiffons que je recycle maintenant dans mes quilts !
Si quelques peintres japonais sont à l’origine de la « redécouverte » et de l’exposition de ces textiles considérés comme des modèles d’art instinctif, spontané, dénué d’artifice, quelques marchands d’art, flairant le bon filon, ont incité leurs clients à collectionner des Boro
Mais, hélas, la demande dépassant largement l’offre, même en écumant toute la région, les hardes sont de plus en plus difficiles à trouver…alors les prix grimpent jusqu’à atteindre des sommes vertigineuses aussi bien au Japon qu’aux USA
Les enfants gâtés de l’Oncle Sam déboursent plus de 200 dollars pour exhiber un tour de cou très chic en vieux Boro garantis authentiques !
Des stylistes à la mode n’hésitent plus à déchiqueter des vêtements neufs pour les raccommoder à grands points, c’est devenu le style Boro, semblable par l’esprit à l’engouement des jeunes crétins pour des jeans ou des blousons vendus déjà déchirés chargés de les déguiser en rebelles !
J’avoue mon scepticisme quant à la quantité de Boro retrouvés… en observant attentivement les pièces exposées, j’ai vu des fils un peu trop récents, bien blancs alors que l’indigo du vêtement teinte naturellement les fils, des raccommodages suspects, des coutures frustes et malhabiles pour faire ancien …
…je soupçonne des assemblages de récupérations de chiffons pour obtenir des semblants de kimonos qui bien sûr y gagneront une toute autre valeur marchande
Quelques Boro dans cet article aussi
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Voyage à Nantes – autres articles :
Salon « Pour l’amour du fil » – Avril 2013
Salon « Pour l’amour du fil » – Avril 2013 – Collection japonaise de Boro
Salon « Pour l’amour du fil » – Avril 2013 – Tissus japonais « Shijira »
Printemps 2013 – Suite et fin
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Exposition « Pour l’amour du fil » – 2009
« Pour l’amour du fil » – 2011
Encore une fois un article très intéressant sur le Japon et le textile. Merci Marie Claude
Merci Martine, j’essaie dans la mesure de mes moyens, de faire connaître un peu mieux ce monde du textile qui me passionne !
J’ai vu à Paris dans une vitrine rue de Rivoli un jean tout déchiré vendu 550 euros !Inutile de dire que j’ai été scandalisée, à la fois par la bêtise des acheteurs et par le cynisme des vendeurs.
Pour le « boro » je me dis que tant pis pour les snobs qui s’y laissent prendre et vont payer très cher des chiffons même pas authentiques. Mais le mépris profond qui se dissimule sous cette admiration factice, alors là, non.
Oui, Françoise, l’exposition nous a mis, mon mari et moi, très mal à l’aise…Impossible de nous résoudre à voir des objets artistiques dans ces vestiges de vies misérables..
L’appropriation par les nantis des symboles de la pauvreté sous un fallacieux prétexte artistique reste une démarche odieuse
Contente de lire votre compte-rendu qui éclaire un peu mon ressenti lors de la visite de cette expo. Je ne comprenais pas très bien si les vêtements étaient authentiques ou s’ils étaient reconstitués à partir de tissus usagés, à des fins « artistiques » d’ou ma grande perplexité.
Dans la Bretagne pauvre de mes grands parents, les vêtements étaient ainsi recyclés jusqu’à usure, on le voit sur les doublures des costumes brodés, constituées de divers tissus récupérés. Je pense qu’il en était de même dans de nombreuses régions, de là à y trouver un sens artistique, non.
Oui, Françoise, cet usage de recyclage était partout présent dans tous les pays où l’économie domestique était de rigueur
Ce qui me trouble, ce n’est pas d’exposer des haillons, on a vu pire sous prétexte d’art contemporain ! mais c’est la généralisation du propos et l’alibi culturel détestable
merci Marie-Claude, la culture est avec vous !
Bon Jour
Merci Ella, mais n’y a t-il pas dans votre commentaire comme une pointe de dérision ? Je sais bien que la culture comme la confiture….
ah non pas de dérision : j’admire votre regard acéré sur les engouements contemporains et votre écriture incisive !
Merci Ella, contrairement aux habitudes des pédants, je n’écris rien quand je ne maîtrise pas mon sujet !
Chère Marie Claude.
Vous me faites mourir de rire avec vos commentaires et observation d’oeil de lynx.Vous mettez le doigt sur la dérision de notre civilisation en train de devenir dégénérée. 2000 d’histoire, ça suffit. A quand le renouveau.
Les kilts amish sont aussi fait de tissus récupérés. Les couleurs sont parfois surprenantes pour l’époque. J’adore. Comme dans ma jeunesse, on aurait jamais oser mettre en harmonie du bleu et du vert.
Sur mon nouveau poste, l’architecture du musée Paul Klee, je vous ai mis en lien. Allez découvrir pourquoi.
Chère Béatrice, les femmes Amish ne faisaient pas de recyclage mais achetaient aux colporteurs des grands métrages de tissus neufs pour confectionner leurs quilts, et elles avaient la réputation d’être de bonnes clientes !
Et savez-vous que le mélange de certaines couleurs, bleu et vert en l’occurrence, reste encore tabou pour beaucoup de quilteuses ?
Quand on pense que le jean était un simple vêtement de travail. Le tissus servait pour confectionner les bâches des charriots. Un nommé Lewis eu l’idée de confectionner des pantalons pour les chercheurs d’or en Californie, car c’est un tissus solide. Et maintenant… il y a des jeans de luxe. le monde à l’envers ! Si les chercheurs d’or de l’époque revenaient, ce serait à leurs tours de mourir de rire en voyant les jeans recouverts de strass, de broderies et de fanfreluches.
par contre je dois avouer, que le jean que j’ai le plus aimé, était brodé sur le côté d’un canon seulement, tout le long. Je viens de le vendre dans une brocante… pourquoi ???
Oui, l’histoire des jeans est très intéressante, et comme c’est devenu le vêtement universel, il est normal que beaucoup de femmes veuillent le personnaliser selon leur perception de la mode
Mais les transformer en « Boro » c’est quand même un stade ultime !
Une idée en amenant une autre… Quand je dois réparer ou * élargir* un vêtement, du à mon changement, pas de statut social, mais de taille !!! C’est toujours le tricot qui m’a sauvé, ou plutôt mes vêtements. Sur mon blog *tricot … *, j’ai publié pas mal d’idées allant dans ce sens.
Béatrice, je ne fais que de la couture basique, des chemises-tuniques ou des jupes…et quand ça ne va plus, je recycle si ce n’est pas trop usé !
J’avoue que je suis dépourvue du moindre talent dans ce domaine !
Article passionnant ! Je l’ai cité dans un récent article sur mon blog avec lien vers celui-ci : je reviens vers « La chambre des couleurs » pour m’y plonger plus profondément ! Pour ma part, j’utilise souvent des vêtements usagés (ceux qu’on ne saurait donner) pour réaliser certains de mes quilts, en particulier les jeans dont le rapiéçage a atteint ses limites.
Il est vrai, Fabienne, que les recyclages de textiles ouvrent grande la porte à l’imagination !
Les ouvrages qui sortent des sempiternelles copies de magazine sont dignes d’intérêt, et même si les sources restent toujours présentes pour l’inspiration, le travail ne peut être que passionnant !
Là je deviens fou en voyant tout ces assemblages de matières et de couleurs, votre site est vraiment exceptionnel, merci beaucoup! J’ai fait un petit boro dans le dos d’une chemise en jeans délavée! Rien de bien exceptionnel par rapport à toutes ces merveilles!
Disons que mon enthousiasme pour les Boro est plus modéré que le vôtre !
En tout cas grand merci, Adrien, pour toutes vos réflexions s’égrenant au fil de ce blog
le boro….une necessite mais c etait aussi qq chose qui respire le travail et la tendresse, j en fais et j adore et en plus j e fais des adeptes! sur cocochapelle26, on organise meme des stages
l usure c est tte une vie….marie claire
Du travail certes, plutôt de la nécessité en effet…Je pense que pour la tendresse, ces personnes qui ravaudaient auraient plutôt préféré coudre des étoffes neuves pour les leurs !
Le romantisme des Boro c’est surtout les « créatrices » bien trop gâtées qui se complaisent dans un ersatz de pauvreté qu’elle sont loin de connaître
Désolée, je ne partage pas votre enthousiasme