Voyage vers le Sud
La cathédrale St Étienne de Limoges, en raison des incessantes difficultés financières rencontrées au cours des âges, n’a vraiment été achevée que six siècles après sa mise en chantier au milieu du Moyen Age
Sur une colline dominant la Vienne, elle a remplacé, petit à petit au long des siècles, la vieille cathédrale romane dont seul le clocher subsistait mais celui-ci menaçant de s’effondrer, a été au XIVe siècle enclavé dans une massive et disgracieuse maçonnerie
Alors que tellement de splendeurs ont disparu du fait des aléas de l’histoire, cette regrettable construction a résisté même aux « restaurateurs » du XIXe siècle qui ont pourtant travaillé, en style gothique, à l’achèvement de l’édifice !
Au milieu du XIIIe siècle, Jean Deschamps, un architecte venu peut-être du chantier d’Amiens qui avait assimilé parfaitement le style des grandes réalisations septentrionales introduisit l’art gothique des cathédrales du Nord au sud de la Loire et notamment en Limousin
A sa suite, des constructeurs audacieux et techniciens habiles ont élevé l’abside de la cathédrale avec le chœur et son déambulatoire, tout à fait comparable à ceux de Clermont-Ferrand où a œuvré le maître Jean Deschamps, mais les transepts et la nef ne seront finalement édifiés qu’aux cours des siècles suivants, avec la même pierre de granite…
…dans un style gothique qui, ayant perduré bien au-delà de son temps artistique dans les édifices religieux, aura permis à la cathédrale de garder une homogénéité de style remarquable
Notre excursion se faisait un jour de plein soleil avec une luminosité intérieure de ce fait fort agréable, mais nous visitâmes cette cathédrale surtout en musique avec le titulaire de l’orgue qui improvisait sur les grands jeux, ce qui charmant nos oreilles nous remplissait le cœur d’allégresse, nous faisant oublier quelque peu la fraîcheur régnant dans ces vieux murs
Le portail St Jean de style gothique tardif, édifié sur le bras nord du transept, sera à partir de sa construction au XVIe siècle, la principale entrée, pour les fidèles, de la cathédrale jusqu’à l’achèvement de la nef
Vu par beau temps sous un soleil éclatant, la rose, les pignons, pinacles et flèches du portail très élancé vibrent dans la lumière donnant à cette construction non fonctionnelle mais si élégante, un aspect de châsse ornementée bien faite pour séduire en leur temps les évêques commanditaires !
Deux belles portes sculptées en bois foncé ferment le portail St Jean, dont les scènes retracent la vie et le martyr des saints locaux Martial et Valérie
Le style en est un peu fruste mais tous les éléments de la grammaire renaissante, pilastres, rinceaux, mascarons et puttis sont déployés de manière assez habile
Ces personnages à jamais anonymes sont de probables portraits de grands personnage du temps, dont le profil évoque bien les médailles à l’antique selon la mode rapportée d’Italie
La cathédrale renferme quelques tombeaux de ses évêques qui, bien qu’altérés par les vandales de la Révolution, témoignent de l’habitude de la fin du XIIIe siècle d’inhumer les grands personnages à l’intérieur des églises
Bien que le tombeau de l’évêque Raynaud de la Porte soit sculpté dans le style conventionnel du XIVe siècle, monument ouvert sous un dais orné de pinacles, les figures des deux anges chargés de relever les draperies pour dévoiler le gisant sont d’une composition originale, unique en France
L’esprit malicieux des sculpteurs médiévaux, souvent observé dans les édifices religieux, se révèle dans l’embout de la tringle !
Le tombeau de l’évêque est accompagné dans le déambulatoire de celui de son neveu, Bernard Brun dans un style tout à fait analogue dans le convenu avec son entablement surmonté de deux gâbles ajourés et son cortège de funérailles qui mène déjà le deuil de l’évêque, figurant en bas-relief sur le soubassement …
…mais les bas-reliefs sculptés sur le mur de l’enfeu très orné sont tout a fait délicats
Deux siècles plus tard, l’évêque Jean de Langeac, grand seigneur instruit, ouvert à l’esprit de la Renaissance et fréquentant la Cour et les cercles humanistes parisiens commanda son tombeau dans le style nouveau, inspiré de l’Italie, et reflétant les idéaux de l’Antiquité classique
Seul ne subsiste que le tombeau de pierre, le bronze de l’effigie en orant de l’évêque fut fondu à la Révolution, circonstances funestes du cours des temps mais qui redonne à tant de princes de l’église une juste humilité comme il sied à des prélats !
Le style corinthien du tombeau avec ses quatre colonnes cannelées décorées de motifs « à l’antique » aux chapiteaux à feuilles d’acanthe supportant un plafond à caissons fait figure de nouveauté dans un édifice que l’évêque continue à faire élever en style gothique
Les scènes des panneaux qui décorent l’entablement et le soubassement s’inspirent très librement des gravures de Dürer sur l’Apocalypse, œuvres largement diffusées dans l’Europe du début du XVIe siècle et influençant bien des artistes dans tous les domaines artistiques du temps
L’évêque Jean de Langeac, l’un des plus riches prélats de son temps, orna sa cathédrale d’un jubé dans le même goût renaissant, jubé qui ne fut pas détruit comme tant d’autres après la Contre-Réforme, mais placé au fond de la nef soutenant ainsi le buffet d’orgue
Première œuvre à Limoges à témoigner de la Renaissance italienne, il fallut deux années, en 1533 et 1534 pour que le jubé reçoive ses décorations sculptées de prophètes, d’apôtres et de Vertus, de rinceaux et de cartouches…et d’amours, de nymphes et de satyres !
La forme générale terminée par deux escaliers en granite est légère malgré l’abondance des ornements mêlant toutes sortes de motifs renaissants
La tribune en encorbellement est soutenue par quatre colonnes entre lesquelles des niches abritaient des statues, les Vertus sur les clés pendantes ont perdu leurs têtes mais leurs corps ravissants ont bien dû troubler, à l’époque, quelques fidèles dans leurs dévotions !
Le soubassement reçoit des bas-reliefs narrant quelques uns des travaux d’Hercule, tout un programme inusité de décoration païenne italianisante imposé par un évêque, grand voyageur et ambassadeur auprès de plusieurs papes, pour se remémorer sans aucun doute ses souvenirs ultramontains !
Une émouvante œuvre contemporaine d’une artiste travaillant l’émail champlevé dans la tradition limousine trône dans une chapelle, rappelant la tradition des Vierges noires auvergnates de l’époque romane, et surtout la statue-reliquaire de St Foy de Conques
Un nouvel aigle viendra encore compléter ma collection de lutrins, collection virtuelle étant donné l’envergure du bel oiseau difficile à caser dans un petit appartement !
Le prochain article descendra enfin au sud, à St Jean de Luz, but du voyage…