Paris – Musée de la vie romantique
Le Musée de la Vie romantique (ici) présente toujours des expositions passionnantes, loin des grandes rétrospectives prestigieuses qui font courir les foules, il propose des visites à thèmes consacrées à la vie et à l’œuvre des artistes de la première moitié du XIXe siècle
La nouvelle exposition consacrée aux esquisses des peintres de l’époque romantique met en lumière la genèse d’œuvres en devenir, étapes originelles de la réalisation d’un tableau exécutées avec naturel et vivacité, œuvres constituant un genre à part entière et de ce fait appréciées et collectionnées avec ferveur
Bien sûr l’évocation du nom de Delacroix parmi les peintres présentés m’aura fort incitée à me rendre à cette exposition !
D’autant plus que la courtoisie de m’inviter au vernissage a été reconduite par la nouvelle équipe de la communication du musée !
L’esquisse comme étape première du tableau à exécuter évoque le travail des peintres de l’école dite romantique avec Delacroix comme représentant bien malgré lui ! qui considérait pourtant « l’imagination comme la reine des facultés » antienne des artistes de l’époque
L’ébauche de Delacroix pour son grand tableau « Médée furieuse » au musée de Lille illustre le goût du peintre pour les sujets dramatiques inspirés par la littérature, le mythe de Médée faisant les beaux jours du théâtre et de l’opéra de l’époque
La composition pyramidale esquissée avec impétuosité dans des coloris flamboyants se révèle très différente du tableau fini à l’atmosphère assombrie, plus proche des sentiments exacerbés de la puissante magicienne qui se venge de l’infidèle Jason en tuant leurs enfants, sujet romantique par excellence où le rôle néfaste attribué à l’héroïne tend à exonérer le déloyal vainqueur de la Toison d’Or
Géricault, admiré par Delacroix avec qui il partage le goût des compositions dynamiques, premier chef de file du Romantisme, affiche ses recherches sur des sujets fougueux qui donneront le ton au mouvement romantique naissant
Léon Cogniet, condisciple de Delacroix aux Beaux-arts, illustre les œuvres littéraires de Walter Scott, chantre du roman historique médiéval, best-seller de l’époque, dont les héros enflamment l’imagination des romantiques
Un épisode du roman « Ivanhoé » évoque la scène dramatique où de fringantes cavales emportent l’héroïne dans un tourbillon de teintes vives et légères
La prédilection de Delacroix et du jeune Chassériau pour la peinture de Titien et de Rubens, privilégiant la couleur au respect de la forme académique tant prônée par les suiveurs néo-classiques d’Ingres…
…rendent des scènes à la sensualité frémissante ou, dans l’ébauche de Chassériau, à la torpeur languide avec de larges touches empâtées de couleurs intenses, seules esquisses vibrantes de tableaux jamais réalisés
Des esquisses de préparation à des tableaux plus anecdotiques renseignent aussi sur le goût de l’époque, épisodes de l’histoire antique où l’orientalisme se fait jour…
…scènes d’amour romantique où la passion se sublime dans la mort de l’être aimé…
…ou narration d’épisodes dramatiques, prétextes pour dépeindre de jeunes femmes dans des pauses d’abandon languissant
Si la nature participe au pathétique des situations dans un paysage hostile de neige, elle peut aussi servir d’écrin pour un portrait au caractère tranquille
Quelques esquisses du peintre Ary Scheffer s’exposent de nouveau dans le lieu qui fut sa maison et son atelier parisien d’artiste, maintenant occupé par le musée de la Vie romantique
Ayant beaucoup pratiqué le genre de peintures d’histoire, Ary Scheffer en a laissé nombre de dessins préparatoires et d’esquisses très proches du tableau fini
Les grands tableaux réalisés pour la galerie des Batailles du musée de l’Histoire de France créé par Louis-Philippe à Versailles, afin d’occulter les dérives historiques passées, sont chargés d’illustrer le lien entre l’Église et la légitime monarchie comme unité de la Nation
L’exposition montre des esquisses plus abouties mais guère plus intéressantes que ses grands tableaux achevés d’un style souvent emphatique et pompeux, même si quelquefois, leur tonalité vibrante fait penser à Delacroix
Mais les esquisses libres et parfois inspirées, brossées de façon rapide et spontanée se souciant peu des détails, comme les scènes tirées du Faust de Goethe et de la Divine Comédie de Dante…
…sujets excellemment appropriés à l’imagination romantique sont traitées par Scheffer de façon spirituelle et fort émouvante (le tableau fini dans le genre « léché » est fort différent)
L’esquisse, considérée comme exercice de composition, était l’étape obligée, pour les étudiants des Beaux-arts, à la préparation du concours pour obtenir le si convoité grand prix de Rome
La formation académique de l’époque privilégiait les peintures d’histoire antique ou mythologique, scènes théâtrales grandiloquentes dénudant des héros à la gestuelle exacerbée et aux sentiments exprimés de manière outrée
Les esquisses préparatoires sur lesquelles étaient jugé le style de l’artiste, assez représentatives des tableaux achevés, peuvent encore être regardées avec intérêt…
…les tableaux, en revanche, de nos jours, sont plus difficiles à apprécier !
Le deuxième concours pour le prix de Rome incluait les esquisses « de composition de paysage historique »
Des œuvres où les personnages essentiellement empruntés à la mythologie semblent disposés de façon incongrue sur une toile de fond, paysage pastoral arcadien qui pourrait se suffire à lui même …
…à celles où le paysage participe à l’action…
…j’ai préféré la nature combien plus vivante dans deux esquisses illustrant une fable de La Fontaine avec « figure de berger effrayé » obligatoire !
La nature tourmentée et même déchaînée se traduisant en tonalités modulées selon le caractère de l’artiste
Les esquisses servaient aussi aux artistes à présenter leurs projets, quand ils briguaient les commandes officielles pour décorer les bâtiments publics et les églises rendues au culte ou nouvellement construites
Les concours s’adressaient aux pensionnaires du prix de Rome mais aussi aux artistes reconnus comme Delacroix, bien que celui-ci fut de tout temps critiqué par les tenants de l’académisme
Si les grandes peintures de l’époque ornant les églises entérinaient le dogme dans des styles néo-gothique, néo-byzantin et « saint sulpicien », Delacroix dans ses esquisses de sujets religieux se révèle mieux que dans ses peintures définitives où l’intervention intellectuelle corrige la fougue et la liberté première du geste
Si ses esquisses à l’ardent coloris laissent place aux scènes intimistes, plus proches des tableaux de dévotion privée que des grands décors monumentaux…
… il sait traduire par un vif contraste lumineux la vision hallucinée de la lutte désespérée de la chair contre l’esprit, obsession de l’éternel conflit qui l’a accompagné toute sa vie
Le jugement de Diderot « Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau ? C’est qu’il y a plus de vie et moins de forme » m’a servi de leitmotiv tout au long de l’exposition…
Elle est absolument à voir et ce jusqu’au 2 février 2014
N B – Nombre de ces œuvres proviennent de collections privées, l’autorisation qui m’a été donnée de les photographier pour ce blog n’inclut pas les copies qui pourraient en être faites
C’est vrai que ça donne envie d’aller y voir ! Merci pour cette présentation toujours « juste » et personnelle . Sur les esquisses je partage assez l’avis de Diderot , et j’ai été impressionnée par la carrure de la Dalila … on ne va pas couper les cheveux de Samson en quatre : c’est un article très intéressant !
Merci Jacqueline, il est vrai que les esquisses peintes sont rarement visibles d’habitude dans les musées de là l’intérêt de cette exposition
En vérité, si Dalila y perd bien son sex-appeal, l’artiste n’a pas eu la chance non plus d’avoir Victor Mature comme modèle !