Musée historique de la préfecture d’Aomori
Musée historique de la préfecture d’Aomori
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Dans ce premier article, je vous emmène dans un passé très lointain illustré par les nombreuses découvertes archéologiques de ces dernières années dans le nord du Tôhoku (ici) qui rendent obsolètes les anciens manuels sur la préhistoire du Japon qui se trouvent dans les bibliothèques !
La civilisation Jômon est un paradoxe dans l’histoire du Néolithique, car ces chasseurs-cueilleurs non sédentarisés et qui ne pratiquaient pas l’agriculture, se sont pourtant abondamment adonnés à la fabrication de poteries très élaborées
Les sites néolithiques de l’époque Jômon sont répartis sur tout le territoire du Japon mais chaque région connut ses propres spécificités, je ne parlerais donc que de la culture Jômon telle qu’elle a été mise à jour au nord du Tôhoku, et seule présente dans le musée d’histoire d’Aomori
Si les plus anciennes céramiques au monde découvertes au Japon, datent de 12 000 ans avant notre ère, les poteries trouvées dans la région d’Aomori pour l’instant, sont nettement plus jeunes, elles ne remontent que vers 10 000 ans avant notre ère !
Dans cette civilisation Jômon dont le nom signifie terre cuite décorée par des cordes, les poteries montées aux colombins, le tour de potier étant inconnu, s’adaptèrent de manière continue, au fil des siècles, aux nécessités alimentaires
Dans le Jômon primitif, ce sont essentiellement des jarres de forme conique à l’ouverture évasée et au fond pointu terminé par un mamelon, le décor très sobre est incisé de lignes parallèles sur toute la surface ou encore de chevrons et de vagues sur la partie supérieure
L’application de cordes sur l’argile fraîche donne sur la panse des poteries des motifs en haut-relief, l’ombre et la lumière jouent sur les volutes et les vagues appliquées dans un décor complexe où le losange et le triangle sont omniprésents
Si les fonds plats deviennent peu à peu la norme, sur de nombreuses jarres le bord est animé par quatre pointes avec des bourrelets ornementés très travaillés
Si ce genre d’artifice se révèle sans intérêt pour le contenu, par contre cette nouveauté démontre de la part des potiers une certaine recherche dans la création décorative !
Les bols profonds et larges voisinent avec les jarres cylindriques à pied étroit dans une étourdissante variété de modèles pour ces époques si anciennes
Comme ni armes de guerre, ni traces de mort violente sur les squelettes exhumés n’ont encore jamais été retrouvées sur l’ensemble des sites Jômon, il serait tentant d’imaginer que cette civilisation néolithique se serait développée de manière pacifique, contrairement à l’aventure humaine qui, depuis la Préhistoire s’est, en général, construite sur l’anéantissement de ses voisins
Les seuls outillages retrouvés, en dehors des harpons et des hameçons, découverte évidente dans une société où les produits de la mer assuraient une grande partie de la subsistance, sont des arcs et des pointes de flèches équipant les chasseurs
Ceux-ci adaptèrent leur matériel à un environnement où le réchauffement climatique et l’élévation du niveau des mers favorisèrent une faune nouvelle venue du continent
Comme en témoigne une jarre exceptionnelle, découverte à Aomori, dont le bord relevé par quatre pointes, de la région de Tsugaru, présente un décor appliqué où un personnage tire à l’arc sur un animal debout auprès d’un pin
Ce procédé narratif à destination rituelle, peut-être une manifestation chamanique, était probablement destiné à servir de lien entre le monde surnaturel et celui d’ici-bas
Des jarres servirent aussi à l’inhumation des morts, mais dans l’impossibilité de réaliser techniquement de très grandes poteries, les corps étaient préalablement enfouis dans la terre puis les os recueillis étaient enfermés dans un vase avec comme bouchon une pierre plate ou un petit bol placés sur le col
Des parures accompagnaient les défunts, perles, boucles d’oreilles et bracelets en coquillages, peignes en laque et surtout des Magatama pendentifs de pierre semi-précieuse en forme de dent ou de griffe de félin
Au Jomon final, quand les habitats se concentrent autour des baies maritimes, des progrès techniques voient le jour, la terre rougeâtre primitive est remplacée par une argile fine dont les couleurs varient du gris au noir par une cuisson en réduction avec enfumage, les poteries recouvertes d’ocre rouge sacrifient alors aux décors de spirales entremêlées
La culture dite de Kamegaoka, dont le site originaire est riche en vaisselle de petite taille…
…est bien caractérisée par un grand nombre de pièces à petit bec verseur, les décors aux surfaces polies reçoivent des décors spiralés profondément gravés, certaines pièces montrent encore l’attache d’une anse et font irrésistiblement penser aux théières modernes !
Sur le site de Kamegaoka, la surprise fut de découvrir des poteries, des bois gravés et même des paniers tressés recouverts de couches de laque, avec des décors bicolores peints en laque rouge ou noire, les vases protégés ainsi par la laque ont été trouvés en parfait état et pourraient, au dire des archéologues, encore être utilisés de nos jours !
Jusqu’à présent, on croyait ce procédé infiniment plus tardif, les exemples faisant remonter cette pratique au plus tôt au VIe siècle de notre ère au moment de l’arrivée du bouddhisme au Japon
L’évolution de la société à la fin Jômon, concentration de l’activité humaine dans des villages, avancée des techniques et multiplicité des tâches, témoigne du souci d’adapter les vases à des fonctions précises, cette volonté se manifeste dans les vases à bec mais aussi dans les brûle-encens aux formes complexes qui ne sont pas sans rapport avec les bronzes chinois venus du continent
Les pratiques funéraires qui apportent beaucoup d’importance à la conservation des corps laissent présumer la formation de croyances spirituelles et de pratiques religieuses
Les pratiques rituelles sont attestées par les Dogû figurines de terre cuite, cassées volontairement elles se retrouvent en grand nombre dans les amas coquilliers, les décharges de l’époque proches des anciens villages Jômon
Les Dogû anthropomorphes, aux corps traités schématiquement présentent d’étranges visages triangulaires aux yeux proéminents ou bien constitués de deux fentes, les nombreuses représentations féminines seraient sûrement un symbole de fertilité
Si certains archéologues japonais pensent qu’ils pouvaient être les porteurs de messages de l’au-delà, il faut reconnaître que leur signification reste encore une énigme
Sur nombre de Dogû, notamment sur celui en prière, à l’ interprétation assez simplette ! les petites marques striées sur le visage et sur les membres pourraient être des signes de scarifications ou de tatouages, quelques traces d’ocre sur le visage prouveraient que le corps entier pouvait être peint en rouge
A la fin de la période Jômon, les Dogû retrouvés dans la région d’Aomori doivent beaucoup au style des poteries de la culture de Kamegaoka
D’assez grande taille, ils se caractérisent par des membres courts et par le traitement particulier des yeux globuleux occupant la presque totalité de la tête, laquelle est surmontée d’un chignon élaboré
Le corps entier est décoré de motifs gravés en spirales perlées comme sur les poteries de la même époque
Si le mystère de la fonction de Dogû n’est pas résolu, ce qui est loin de me déplaire ! il laisse la porte grande ouverte à l’imagination
En témoin, les théories invraisemblables élaborées pour tenter d’expliquer ces formes étranges, avec le nombre grandissant d’hurluberlus certains d’y voir la panoplie complète, combinaison, casque et lunettes de personnages venus de l’espace et arrivés sur terre dans une époque pré-historique !
Pour d’autres, les yeux globuleux ne seraient rien de moins que des « lunettes de neige » comme en portent les Inuits et de forger une filiation pseudo-scientifique déraisonnable entre ces deux groupes humains !
Et si les Dogû avaient été faits à l’image des habitants lointains de Tsugaru que l’on décrit de petite taille mais costauds avec une grosse tête et un front large ?
Le refroidissement climatique survenu à la fin de l’époque Jômon engagèrent les populations à descendre plus au sud, les sites du nord du Tôhoku furent peu à peu abandonnés
A partir du IIIe siècle avant notre ère, l’extension de la riziculture venue du continent, le tissage de la soie et du chanvre et l’adoption d’une culture des métaux, fer et bronze, furent à l’origine de la naissance de petits états hiérarchisés, dans une époque que les historiens appellent Yayoi mais dont peu de vestiges ont été, jusqu’à présent, mis à jour dans la préfecture d’Aomori
Mon article se conclut avec des traces très émouvantes de pieds imprimées dans l’argile, retrouvées autour de jarres d’inhumation, empreintes considérées vraisemblablement comme un rite d’offrande funéraire
J’ai passé volontairement sous silence les innombrables galets taillés, les abondantes pointes de flèches ainsi que les considérables tessons de poteries qui ne parlent vraiment qu’aux passionnés et spécialistes !
N B : J’ai reçu, de la direction du Musée historique de la préfecture d’Aomori, toutes les autorisations de photographier et de publier les collections de ce musée pour mon blog
Ces autorisations n’incluent pas les copies qui pourraient en être faites sur d’autres sites ou blog
La suite de la visite fera une incursion dans le Japon populaire de notre siècle précédent…
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Musée historique de la préfecture d’Aomori :
La civilisation Jômon
Arts et traditions populaires
Les textiles du monde rural
Quelques bribes de l’histoire régionale
un grand MERCI pour avoir fait cet excellent reportage . J’apprends beaucoup .
bonne soirée
michele
Merci Michèle, je suis ravie que mes articles vous intéressent, je les rédige avec soin mais aussi avec grand plaisir
J’espère que vous m’accompagnerez encore pour la suite
Bonjour Marie-Claude. C’est passionnant !
Bonne journée
Merci Catherine, de me suivre si fidèlement
Encore merci, c’est une découverte de la culture japonaise comme on ne l’imagine pas. Continuez de nous faire rêver.
Merci Françoise, la culture japonaise est tellement passionnante mais on n’en connaît en Occident qu’un tout petit peu et souvent accompagné d’idées fausses !
J’essaie avec mes petites connaissances d’en faire connaître d’autres aspects, les textiles bien sûr, mais il y a tellement à dire…
Les photos viennent, je l’espère, tempérer ce que mes articles auraient de trop rébarbatif !
super et le ton passionné de l’article le rend très agréable à lire ^^
Merci Marie, en effet c’est la passion, avec quelques zestes d’humour, qui me guident pour faire ce blog !