Voyage d’automne à Kyôto
Le Kinkakuji ou le Temple du Pavillon d’or : I | II | III |
Dans un écrin de végétation foisonnante, le Pavillon d’or s’élève dans une altière solitude sur le bord d’un étang parsemé de petites îles plantées de pins
Le nom du Rokuonji, temple dont le Pavillon d’or est le plus beau joyau, signifie « Parc aux gazelles » par allusion au lieu, près de Vanarasi où, selon la légende, Gautama le Bouddha fit son premier sermon après son illumination
Le temple s’adosse aux « Montagnes du Nord » en fait les collines situées au nord de Kyôto, le jardin est ainsi intégré à un environnement naturel dans le style Shakkei, le paysage emprunté, chargé de donner à l’ensemble un effet de profondeur que le regard découvre progressivement
Le pavillon, chef-d’œuvre de l’époque Muromachi (1336-1568) est représentatif par sa somptuosité de la Kitayama Bunka, la culture des Montagnes du Nord, instaurée par l’aristocratie guerrière des Shôgun (chefs militaires) Ashikaga à la fin du XIVe siècle
Le Pavillon aux murs somptueusement recouverts de feuilles d’or sur une structure de bois, orienté au sud, fait face à l’étang dans lequel il se reflète dans un étonnant jeu de miroir
Notre longue contemplation de ce jour dans une atmosphère limpide, finit par brouiller nos repères, le Pavillon nous semblait plus réel dans l’illusion !
Après avoir gouverné pendant quelques années en homme d’état avisé et renoué notamment des relations commerciales avec la Chine de la dynastie Ming, Yoshimitsu le troisième Shôgun du clan des Ashikaga céda officiellement à 37 ans, le pouvoir à son fils aîné pour prendre l’habit de moine
Yoshimitsu voulant s’éloigner du centre de Kyôto mais désirant rivaliser avec la vie aristocratique de la Cour impériale, se fit construire en 1397, sur les ruines d’un ancien temple-palais, une somptueuse résidence, le palais de Kitayama dont les différents bâtiments reliés entre eux par des galeries couvertes, s’articulaient autour du Pavillon d’or et de son étang
Les nombreuses dépendances du palais étaient destinées à abriter une vie quotidienne fastueuse mais le Kitayama Dono, le palais de Kitayama resta aussi le siège du réel pouvoir que le Shôgun retiré exerçait officieusement !
Yoshimitsu en fervent adepte du bouddhisme zen, fit édifier et décorer luxueusement ce Pavillon pour y abriter les reliques insignes qu’il avait acquis à grands frais en provenance du continent
Ce Pavillon serait une représentation du Paradis d’Amida (le Bouddha de l’Ouest censé recueillir les âmes des défunts) et ses trois niveaux symboliseraient les trois degrés constituant ce Paradis
Selon le désir de Yoshimitsu, après sa mort, son fils transforma la demeure seigneuriale en monastère zen sous le nom de Rokuonji, le nom religieux choisi par le Shôgun défunt
Si tous les bâtiments furent incendiés et détruits au cours des guerres, ou remontés dans d’autres temples, seul le Pavillon d’or restauré à de nombreuses reprises resta l’unique témoin de cette grandeur évanouie
Mais ce Pavillon tellement admire de nos jours est toutefois une reconstruction récente, après son ultime destruction en 1950 dans un incendie allumé par un jeune moine obsédé par la beauté inaccessible de l’édifice
Histoire qui inspirera à Mishima Yukio un roman célèbre « Kinkakuji » qui reflète d’ailleurs plus les obsessions de l’écrivain que le fait-divers en lui même
Rebâti à l’identique en 1955, il fut de nouveau restauré en 1987, puis en 1997, revêtu de feuilles d’or protégées par un glacis moderne censé rendre cette décoration inaltérable
Ashikaga Yoshimitsu, grand collectionneur d’antiquités venues du Continent, avait une prédilection pour la culture raffinée de la dynastie chinoise Song, dont le style de constructions de belvédères de plaisance inspira la structure à trois niveaux de son Pavillon
Le rez-de-jardin sacrifie encore au Shinden zukuri, style en vigueur pendant les époques précédentes qui caractérisait les demeures aristocratiques de l’époque Heian, avec sa véranda ouverte au sud qui donne accès à une salle résidentielle aux ouvertures à abattants et à vantaux de bois
Le Shôgun Yoshimitsu utilisait cet espace au niveau de l’étang comme salles de réception où il invitait, pour des discussions philosophiques, les religieux bouddhistes éminents de son temps
Le second niveau est proche du style Buke zukuri, semblable aux demeures des chefs militaires attachés au service du Shôgun
Construites dans le style Wayô, typiquement japonais, les portes en bois coulissantes sont une innovation architecturale en ce début du XVe siècle
Le Shôgun aimait recevoir en audience privée dans ces salons et ces salles d’études dont les murs extérieurs, la balustrade et le plafond sont entièrement recouverts de feuilles d’or
A l’intérieur, les murs et le plancher laqués en noir avec un plafond peint de dragons et de phénix abritent une statue de Iwaya Kannon (une des 33 formes du Bodhisattva Kannon)
Le dernier niveau en retrait par rapport aux deux autres, sacrifie au Karayô, pur style de l’architecture zen d’inspiration chinoise
Les Katô mado, les fenêtres cintrées quadrillées de minces lattes de bois et des doubles portes ajourées à vantaux sont recouvertes à l’extérieur et à l’intérieur là aussi de feuilles d’or tandis que le sol est laqué de noir
Le double toit Hôgyô zukuri, en forme de joyau, formé de quatre triangles rectangles, est recouvert de bardeaux de cyprès fixés avec des clous en bambou, construction d’une technique élaborée, signe de prestige des demeures seigneuriales de cette époque
Le faîte du toit à deux étages est surmonté d’un phénix en bronze recouvert d’or, cet oiseau fabuleux de la mythologie chinoise, censé ne jamais se poser sur terre, ne le fait qu’exceptionnellement pour signaler la grande vertu d’un souverain, ce qui a bien dû flatter Yoshimitsu tout moine qu’il était !
Le phénix original fut retiré du toit à l’époque Meiji à la fin du XIXe siècle, il échappa par conséquent à l’incendie de 1950, et reste le dérisoire élément survivant du fastueux palais de Kitayama
« Tempus edax rerum »
Le jardin du Kinkakuji reste un magnifique témoignage des jardins de plaisance du XIVe siècle qui inspireront tous les concepteurs-jardiniers aux époques modernes
Cet espace est encore semblable aux jardins aristocratiques de l’époque Heian, qui offraient l’agrément de pouvoir, accompagné par des musiciens, faire du canotage sur l’étang
Il a été conçu comme un jardin de promenade, où la marche lente sur le sentier étroit autour de la pièce d’eau, nouveauté à l’époque, favorisait la méditation en offrant différents points de vue sur les arbres en fleurs au printemps…
…sur les érables rouges en automne, sur les rochers affleurant au milieu de l’étang
Une île centrale émerge en face du Pavillon accompagnée d’ensembles de pierres symbolisant, selon la mythologie chinoise, les Immortels taoïstes
D’autres rochers personnifiant les puissants clans militaires alliés au Shôgun, bien visibles du Pavillon, sont disposés comme des images métaphoriques de la stabilité politique recherchée par Yoshimitsu
Les îles en forme de grue et de tortue, réputées être les montures des Sages vénérés, rencontrent d’autres îles plantées de pins symboles de santé et de longévité, éléments obligés et presque stéréotypés de tous les jardins japonais
En cette belle journée d’automne, parmi les érables rouges, nous admirâmes longuement les pins toujours verts, on prétend au Japon que ceux qui contemplent ces images de longévité peuvent en acquérir les profits !
Le chemin quitte l’étang pour gravir la colline en pente douce, où une petite cascade alimentée par un étang encaissé au pied de la montagne « le Ravin du paisible repos », porte le nom évocateur de « Porte du dragon », la célèbre pierre dressée au pied de la chute d’eau est la carpe qui en remontant le courant est arrivée, dit-on, à devenir un dragon immortel
Des haltes le long du sentier permettent de voir les endroits inoubliables où le Shôgun venait puiser à la « Source d’argent » de l’eau pour son thé ou encore l’endroit où il se lavait les mains dans une source qui sourdait sous un rocher !
Intéressant, certes…mais nous avons préféré admirer l’ingéniosité des artisans japonais dans leur maîtrise du bambou !
Le sentier gravi nous amena à la hauteur du troisième niveau du Kinkakuji dont nous pûmes contempler de bien plus près l’admirable beauté lovée au milieu d’une végétation protectrice
Le dernier volet de cet article fera une halte devant le pavillon de thé avant des nourritures plus substantielles !
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Le Kinkakuji ou le Temple du Pavillon d’or :
* Le Kinkakuji ou le Temple du Pavillon d’or – I –
* Le Kinkakuji ou le Temple du Pavillon d’or – II –
* Le Kinkakuji ou le Temple du Pavillon d’or – III –
Quel bel article, Marie-Claude, BRAVO !
Magnifiques photos et quelle documentation, wow !!!
Je n’ai visite Kyoto qu’un tout petit peu en 1/2 journee (en 1982 !), mais Kinkaku-ji est un des rares endroits que j’ai vu….je reve de retourner visiter Kyoto un jour plus serieusement, mais c’est si loin de chez moi…
Bisous !!!
Mon mari m’aide beaucoup pour la documentation, lui qui ne s’intéressait guère à l’Histoire du Japon dans son adolescence ! Maintenant, il n’a plus le choix !
Alors chère Flo, j’ai sur Kyôto tellement de photos…je vais continuer à te servir de guide de voyage, si tu ne vois pas dans ma proposition trop de prétention !
Je suis toujours bien aise, en tout cas sur ton blog, de visiter les beaux paysages de Miyagi ken en ta compagnie
Ah, je ne suis pas déçue ! que de beauté! tout autre commentaire serait de trop: je regarde, et je me tais.
MERCI pour tout.
Il n’est pas facile de faire passer son enthousiasme et ses émotions à distance, mais à vous lire, Françoise, il me semble y avoir quelque peu réussi !
Bonjour Marie Claude,
Quel beau reportage ! Le temple du pavillon d’or est encore plus beau que dans mon souvenir. Mon voyage au Japon date déjà(hélas) de 2005, ton récit m’apprend plein de choses et surtout ravive les émotions vécues, alors, au cours de cette fabuleuse promenade.
bien amicalement Martine
Je suis ravie, Martine, d’avoir raviver tes souvenirs !
Il est de bon ton, maintenant, de dénigrer ce Pavillon d’or, de faire part de sa déception et de son aversion pour son clinquant incompris… Ce joyau ne se découvre pas uniquement à travers un appareil photo ! La connaissance demande que l’on prenne son temps !
Quant à moi, l’ayant vu sur plusieurs décennies, (plus ou moins doré) il me fascine toujours autant