Voyage de printemps à Kyôto
Uji et Byôdô-in autre articles : I | II | III | IV
Un matin ensoleillé était le bienvenu pour nous accompagner en train de Kyôto jusqu'à la ville d'Uji située à quelques 12 km au sud de l'ancienne capitale
De notre appartement situé sur la Karasuma gojô, la 5ème avenue ! jusqu'à la gare centrale de Kyôto, à pied il ne faut compter que 15 minutes de marche le long de la grande avenue Karasuma-dôri pour profiter au printemps de la floraison des cerisiers apportant aux rues de la ville des halos vaporeux de délicates fleurs blanches
Notre chemin longe le Higashi Honganji "le temple de l'Est du vœu suprême (du Bouddha)" siège du Jôdo Shinshû, école du bouddhisme Shin qui préconise une dévotion sincère à Amida, le bouddha "de la Terre pure", courant spirituel réunissant une majorité de croyants au Japon
Le quartier du Higashi Honganji abrite nombre de boutiques consacrées aux articles nécessaires au culte bouddhique comme divers modèles de Butsudan, les autels familiaux où la laque noire nitescente le dispute aux ornements recouverts à profusion de métal doré
Dès le matin, les dévots habituels du temple consacrent une partie de leur journée à des tâches "d'intérêt général" comme nettoyer bénévolement les abords du temple et les rues du quartier
Ce quartier près de la gare de Kyôto abrite des Ryokan, les auberges traditionnelles coincées entre de grands immeubles de béton qui poussent chaque année comme des champignons pour remplacer d'autres constructions plus anciennes ayant bien mal vieilli
Devant le Ryokan, un spectaculaire buisson de Tsubaki envahit le trottoir, les fleurs roses de camélia dont la floraison commence fin février ou début mars symbolisent, tout comme les fleurs de cerisiers, la venue du printemps
Le plaisir du voyage ferroviaire s'accompagne toujours pour nous, du plaisir d'acheter notre Bento à un kiosque de la gare
Si le matin le choix des Bento est énorme, il se raréfie dans la soirée, aussi mon époux aimant les spécialités proposées par chaque gare, a t-il réservé le bento de son choix pour le retour en fin d'après midi !
Uji reste célèbre depuis quelques huit siècles pour les plantations de théiers sur les collines environnant la ville à l'Ouest et donnant, en principe, un thé vert d'excellente qualité
La ville a construit sa réputation sur cette production de thé et tout au long des vieux quartiers commerçants très touristiques, il est quasi impossible d'échapper à la manne des précieuses feuilles vertes !
Le thé, en provenance de Chine, fut introduit dit-on, au Japon au XIIIe siècle par le moine Eisai, fondateur de l'école Rinzai du bouddhisme zen, puis un de ses disciples, Myôe moine à Kyôto, choisit la région d'Uji pour y planter les premières graines rapportées du continent
Au début du XIVe siècle, à l'époque Muromachi, le troisième shôgun Ashikaga Yoshimitsu, celui qui fit édifier le Pavillon d'or à Kyôto, encouragea les plantations de théiers qui prirent le nom des "Sept jardins d'Uji"
La pratique du thé dans les monastères de l’obédience zen, privilégiant l'étude de la culture chinoise, s'organisait autour de cérémonies esthétiques auxquelles prenaient part les lettrés, les aristocrates de Cour et les classes guerrières dirigeantes du pays
Le thé à cette époque se consomme réduit en poudre, c’est un « thé vert battu » qui ne deviendra un thé infusé, comme on le connaît de nos jours, que quelques siècles plus tard, à la fin de l'époque Edo
Les producteurs de thé à Uji devinrent les principaux fournisseurs de la Cour du Shôgun à Edo (ancien nom de Tôkyô) en réservant à cet illustre client la première cueillette de chaque année, le reste de la production ne pouvant être commercialisée qu'après la livraison de ce Tencha, un thé vert en petites feuilles délicates, renommé pour son incomparable qualité
La procession qui pendant 240 ans amena ce thé nouveau à Edo est restée dans les mémoires par le biais d'une chanson Zui Zui Zukkoro bashi, connue de tous les enfants japonais !
Le cortège du "Thé pour le Shôgun" qui pouvait être composé de 1000 personnes empruntait le Tokaido, la route de l'Est de Kyôto à Edo, afin d'escorter les palanquins abritant les nombreuses et précieuses jarres de thé sur des chemins soigneusement balayés sur le passage afin de préserver de la poussière du voyage l'inestimable contenu destiné à arriver sans impureté dans les appartements du plus important personnage de l'état !
Lors de la procession, nul ne devait observer un si important convoi, les paysans étaient interdits de travail aux champs, les villageois jusqu'aux enfants ne devaient plus sortir des maisons, les Daimyô, les nobles provinciaux même cédaient le passage au "thé du Shôgun" !
Aux commandements de Shita niiiii !!! "Baissez ! Baissez !" toutes les personnes se trouvant par mégarde sur le chemin courbaient la tête jusqu'au sol, le silence absolu imposé permettait d'entendre dit-on, les rats grignoter les réserves de riz !
La ville d'Uji fut le théâtre pendant les guerres de Genpei à la fin du XIIe siècle des affrontements entre les Minamoto et les Taira, les deux clans guerriers les plus importants de l'époque afin de conquérir le pouvoir
Ujigawa no Tatakai, la bataille sur le pont d'Uji en 1183 vit la défaite de Minamoto Yoshinaka, battu par son cousin Minamoto Yoshitsune, épisode fameux narré dans les récits héroïques médiévaux
Mais le grand pont d'Uji est aussi célèbre pour une raison plus pacifique !
Du haut du pont enjambant l'Ujigawa, la rivière d'Uji, on puisait, deux heures avant le coucher du soleil, dans le courant descendant des montagnes, de l'eau pure afin de l'acheminer vers le château de Fushimi, près de Kyôto, pour préparer le thé du Shôgun Hideyoshi !
Pendant la balade de printemps dans les vieux quartiers, une curiosité horticole m'a beaucoup intriguée !
Dans la cour d'une maison particulière, un cerisier comportait sur le même arbre des branches fleuries de blanc et de rose !
La singularité de ce genre de cultivars est renouvelée à chaque printemps, car l'arbre ne peut donner que des fleurs blanches ou une floraison entièrement rose ou encore ménager la surprise de marier ces deux couleurs sur un même tronc
A Uji, ce genre de floraison est nommée avec malice Genpei zakura en référence aux couleurs arborées par les deux clans ennemis de la guerre de Genpei, le blanc pour les Minamoto - Genji et le rouge des Taira - Heike, noms désignant les mêmes personnages selon les caractères lus à la chinoise ou à la japonaise
Mais le voyage à Uji se fit principalement pour visiter Byôdô-in, le temple bouddhiste reflétant l'architecture de la période de Heian qui venait en ce début de printemps de ré-ouvrir après une restauration de quelques années
A suivre donc...