Voyage d’été à Aomori
Après les estampes de Nakajima Tsuzen au style japonais traditionnel, un artiste du XXe siècle : Munakata Shikô au style novateur et fortement expressif dont l’œuvre reste fort méconnue en dehors du Japon
La ville d’Aomori a consacré en 1975 un musée à la gloire de cet artiste né à Aomori en 1903 et mort à Tokyo en 1975
L’architecture du bâtiment mêlant le béton et l’acier est un hommage au style des constructions en bois de l’époque de Nara au VIIIe siècle
En plein centre ville d’Aomori, le jardin de style japonais est assez grand pour que l’on y oublie pour un moment l’agitation trépidante alentour
Le jardin est conçu selon le style de ceux de l’époque d’Edo période qui va du XVIIe au XIXe siècles
Il s’articule autour d’une pièce d’eau, la promenade se fait autour du bassin, la vue plongeant à chaque détour sur l’élément liquide
La végétation soigneusement taillée laisse imaginer un monde en miniature
Un jour d’été au soleil de plomb et à la chaleur étouffante, la visite du musée en atmosphère climatisée était un pur bonheur !
Munakata Shikô, né à Aomori dans une famille trop pauvre pour lui assurer les études artistiques auxquelles il aspire, part à Tokyo en 1925 afin d’y réaliser son rêve d’adolescence car après avoir vu une médiocre reproduction d’un tableau il veut « Devenir le Van Gogh japonais » ! Tel sera son leitmotiv !
A la différence des artistes japonais traditionnels du début du siècle, aux styles empreints d’élégance précieuse et de fraîcheur poétique, Munakata déploie une vitalité primitive, une énergie débordante qui fait de lui un éminent représentant de la renaissance de l’estampe au Japon au XXe siècle
Après avoir beaucoup pratiqué la peinture à l’huile de style occidental sans grand succès, c’est avec la gravure d’estampes, dans le monde des Avant-Garde du début des années 1930, qu’il forme peu à peu son propre style
Il en fera un art novateur lié fortement à la tradition populaire de sa région natale, le Tohoku, pays de neige, au climat rigoureux mais au riche et robuste folklore
Sa personnalité insoumise, peu influencée par l’Occident et loin du genre sophistiqué, s’éloigne du conservatisme de la grande partie du monde artistique japonais de son temps
Fervent bouddhiste, loin de l’attitude individualiste de l’artiste moderne, il est persuadé que son œuvre nait ou ne se fait que parce que guidé par une instance jugée supérieure, à laquelle il ne fait que s’abandonner
Adepte du bouddhisme appelé Amidisme, mouvement qui, en psalmodiant inlassablement son nom, s’en remet à l’intercession du Bouddha Amida pour bénéficier de sa compassion, il illustrera les thèmes bouddhiques tout au long de sa vie
Ses gravures s’inspirent largement d’ailleurs, de l’ancienne iconographie bouddhique populaire chargée de diffuser les images et les textes pour propager la bonne parole parmi le peuple
Sa série des dix grands disciples du Bouddha Sakyamuni en 1939, personnages importants du panthéon bouddhique, affirme la puissance et la maîtrise d’une personnalité forte qui sait imposer sa présence spirituelle
Les figures, réduites aux formes essentielles, debout en habits noirs aux mines sévères ont une force énergique audacieuse donnée par les masses noires et blanches, l’expressivité des gestes singuliers et des visages anguleux
Munakata est le premier artiste à présenter ses estampes montées sur paravents, chaque gravure des 10 grands disciples mesure quand même 101,5 x 35 cm !
Après la guerre, faisant renaître l’esprit des anciennes gravures, son style s’adoucit, manifestant un équilibre entre les pleins et les vides, entre le noir et le blanc aux lignes douces et incurvées
Compagnon de route du mouvement Mingei fondé par le théoricien Yanagi Soetsu pour partir à la recherche des sources esthétiques du Japon afin de valoriser les objets d’artisanat où résident, selon lui, beauté et fonction, esprit et matière, Munakata trouve chez les artistes-artisans du Mingei une compréhension pour son art novateur aux caractéristiques populaires nées de la tradition
Au lieu de faire appel à plusieurs intervenants comme c’était le cas pour les estampes traditionnelles, Munakata esquisse, grave et imprime lui même ses propres œuvres
Il est le premier à utiliser la technique de l’imprégnation de la couleur sur l’envers du papier, technique permettant d’adoucir les lignes de la gravure même avec des couleurs primaires aux forts contrastes
Le réalisme et la perspective l’intéressant fort peu, c’est par la stylisation des images dans le jaillissement de son imagination, que les femmes, les animaux, les paysages se réduisent à des formes essentielles et à des symboles dynamiques
Le débordement bouillonnant de sa personnalité aboutit à une œuvre abondante réalisée avec une méthode de travail très rapide, sans longue méditation, avec une technique directe de gravure sur le bois, sans dessin préalable et sans dernières retouches
Affligé dès l’enfance d’une myopie sévère, il attaque directement le bois au ciseau, la joue collée sur le support, travaillant vite, en suivant son inspiration, soufflant ou chantonnant sans s’embarrasser de finesse ou de sophistication
Munakata, par amour pour la littérature japonaise, pour la poésie romantique surtout, en donne naturellement des références constantes en parsemant ses estampes de textes gravés aux sentiments littéraires et religieux accompagnant les figures avec le plus grand naturel
Les gravures que je préfère entre toutes sont les séries qu’il consacra à Sarasvati, déesse hindoue de la connaissance dont l’iconographie bouddhique reprit la figure symbolique sous le nom de Benzai ten, déesse de la parole et de l’enseignement, mère des lettres et de la musique souvent représentée avec un luth
Ses estampes représentent les innombrables entités accompagnant les personnages divins, en train de voler dans les nuées, de nager comme les Apsaras dans les eaux célestes ou encore les gardiennes des points cardinaux du paradis bouddhiste
Les lignes sont fluides, les mouvements sont tout de douceur et de liberté…
…les couleurs ajoutent du charme à ces figures sensuelles aux volumes si pleins et aux contours si souples et pourtant dénuées d’érotisme
L’imagination débordante de cet artiste plein d’espièglerie représente ainsi souvent le bodhisattva Kannon, primitivement portraituré sous des traits masculins mais comme Kannon figure la compassion, qualité attribuée ordinairement à la gent féminine, petit à petit les traits d’une femme se sont imposés, Munakata le prouve assez bien !
Munakata est le premier artiste à prendre, dans ses gravures, comme thème de prédilection le corps des femmes, habitude nouvelle au Japon où le nu féminin n’était pas représenté dans les estampes (à part les estampes érotiques bien sûr)
Pour Munakata, ces corps épanouis symbolisent la délicatesse, la pureté mais aussi une éblouissante force de vie
C’est la Vitalité du monde qu’il exalte dans ses merveilleuses estampes de femmes au charme spontané qu’il travaille en plusieurs séries
Les légendes du vieux Japon intéressaient beaucoup Munakata, les héros de ces histoires à multiples rebondissements sont très connus des enfants japonais encore maintenant
Ces peintures sont dédiées aux enfants du grand potier Hamada Shôji (1894-1978), un autre pilier du mouvement Mingei
Les estampes de paysages sont fort appréciées depuis longtemps et le thème traditionnel des étapes qui jalonnent le Tokaido, la route allant de Tokyo à Osaka, a été bien exploité par les artistes depuis le XVIIIe siècle
Munakata ne fera pas exception à cette règle et par deux séries différentes, une en noir et blanc et l’autre avec couleurs appliquées, il en représentera les principaux relais bien que de façon plus abstraite, rendant ainsi un hommage à Hiroshige…
…Dont l’exposition à Aomori mettait en parallèle les estampes de ces deux artistes par delà le temps, ainsi que sa vision cosmogonique dans les séries du Fuji San
Très nostalgique de son pays natal, cette région d’Aomori si âpre dont il portait en lui la rudesse et une certaine sauvagerie mais aussi la générosité fut une source d’inspiration constante tout au long de sa vie
La ville d’Aomori organise chaque année en été le Nebuta, un festival où le déchainement d’énergie physique des jeunes hommes un peu ivres qui se dénudent pour danser, chanter et tirer d’immenses chars surmontés de figures de guerriers aux expressions féroces peintes de couleurs vives, est d’un dynamisme spectaculaire
Pour le Nebuta, la ville d’Aomori est décorée pendant plusieurs semaines de grands cerfs volants peints aussi de figures de guerriers, Munakata n’a pas manqué de participer avec enthousiasme à ses décorations extraordinaires
Munakata, artiste comblé de son vivant, lauréat de nombreux prix prestigieux, coutumier de grandes expositions, reste paradoxalement parmi les artistes contemporains encore largement ignoré
Mais il a eu le mérite de s’être consacré à célébrer avec force, passion et émotion l’âme du Japon
« Amour inépuisable
Surprise infatigable
Joie illimitée
Chagrin inapaisé
Telle est la gravure » (Sore ga Itaga desu)
(D’après notre traduction ! non officielle !)
merci belle découverte pour moi !
je connaissais le mouvement Min Jei et notamment grâce à une expo au musée des arts premiers et à ma connaissance de Charlotte Perriand…
les visages féminins sont d’une vitalité tout à fait réjouissante avec ses rehauts de couleur oui merci !
Bon Soir
Merci Marie-Hélène, en effet Charlotte Perriand a travaillé au Japon pendant la guerre, et a côtoyé les membres du mouvement Mingei, et ses œuvres en gardent quelque influence…Je trouve quand même son design assez daté années 1950 !
L’expo du Musée du Quai Branly était intéressante mais trop modeste à mon goût
Je prépare un article sur le mouvement Mingei car c’est quasi inconnu en France, même pour les amateurs d’art japonais !
Merci Marie-Claude , de nous faire découvrir ces artistes!
J’aime beaucoup les femmes vues par Munakata, à la fois aériennes et plantureuses, ce n’est pas si facile d’allier ainsi la douceur et la vitalité !
Oui, c’est tout à fait mon ressenti, j’aime beaucoup sa vision de la femme !
A l’extérieur de Tokyo, il y a un charmant musée folk crée par le philosophe qui a lancé le mouvement Mingei. Là, sont exposés des céramiques de Hamada Soghi, entre autres. Marie Monique en a fait un sujet sur un de ses postes. http://art-monie.blogspot.com/
Nous sommes fan, toute les deux de votre blog. Je vous recommande son blog.
Je parlerais de ce musée, dans quelques mois, puisque je suis allée le visiter quand je suis rentrée à Tokyo, à la fin de mon voyage.
Moi aussi, j’apprécie beaucoup les poteries de Hamade Shôji, Bernard Leach et autres membres du mouvement Mingei, je n’ai pas encore eu l’occasion de voir ce musée, le Japon, c’est loin !
C’est étrange de découvrir des bodhisatwas vus par un artiste Japonais du 20ème siècle. Il me fait un peu penser à Matisse, sans vouloir à tout prix l’apprécier avec un esprit comparatif.
Mais ce n’est pas rare, nombre de jeunes artistes contemporains s’inspirent toujours du passé
Bonjour,
Je découvre Shiko Munakata. En cherchant sur internet un peu plus d’info sur cet artiste, j’arrive sur votre blog. Un des rares blogs en français parlant de Munakata. Peut-être pourrez-vous me dire sur quel type de papier sont imprimées ses œuvres? les couleurs sont-elles coté impression ou vues en transparence ?
Je fais modestement de la linogravure ( http://lucmrezegalerie.blogspot.fr/search/label/Linogravure ) et ces précisions m’intéressent pour l’ajout de couleur.
Merci et bravo pour votre blog riche en informations
Luc
Je suis ravie, Luc, que vous aimiez aussi Munakata Shikô, j’essaie de ne pas manquer une exposition quand je suis au Japon, car ses estampes sont encore plus impressionnantes en vrai !
Le papier utilisé pour les estampes est toujours du Washi, qui n’est pas du tout le « papier Japon » comme on le connaît en France, c’est un papier doux, légèrement fibreux et surtout extrêmement résistant
Munakata appliquait ses couleurs bien épaisses sur l’envers du bois, cela n’est valable, m’a t-on dit, uniquement avec le papier Washi qui détient un pouvoir d’absorption inégalé et quand on voit ses estampes aux couleurs si fines, cela reste fascinant
Merci pour ces précisions, je vais essayer de trouver ce fameux Washi sur Nantes. La culture japonaise est pour moi une terra incognita. J’aimerais un jour pouvoir aller au Japon.
Je vous souhaite de faire ce voyage, pour vous qui pratiquez une activité artistique, vous ne pourrez qu’être comblé !