Paris – Musée du quai Branly 2010
Visite d’automne au musée du quai Branly pour une exposition au titre bien dans l’air du temps !
La culture « Peranakan » (d’un mot malais qui signifie né ici) est celle de la communauté chinoise installée dans le Sud Est asiatique, Java, Sumatra, Malacca, Penang depuis plusieurs siècles mais c’est au XIXe et au début de XXe siècle que leur installation à Singapour, port prospère, vit leur éclatante réussite dans les affaires de commerce
Cette civilisation hybride des « Babas » (ou hommes chinois) Peranakan résulte d’une fusion entre différentes cultures, car même si basée sur les rites ancestraux chinois, elle adopte néanmoins les modes de vie locaux et sert ainsi de lien entre des mondes différents, avec une langue maternelle nouvelle issue d’un mélange de chinois et de malais
Les membres influents de la communauté Peranakan étaient de riches marchands qui jouèrent un rôle prééminent dans le commerce, la politique et les affaires sociales à Singapour tout au long du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle
Servant de relais entre la puissance coloniale britannique et les mondes autochtones, les Peranakan édifièrent d’immenses fortunes à l’origine d’une culture matérielle luxueuse et extravagante
Le mode de vie de ces riches commerçants est imprégné d’influences aussi bien occidentales que malaises et chinoises
Les hommes les « Babas » adoptent le costume occidental copiant ainsi les habitudes et le mode de vie britannique tandis que les femmes les « Nonyas » optent pour une mode métissée
Après la seconde guerre mondiale, l’influence des Peranakan décline rapidement, et aujourd’hui c’est dans un musée à Singapour que l’on peut voir les éléments de cette culture presque entièrement disparue sous les coups de la modernité
Les grandes demeures organisées à la chinoise, domaine des « Nonyas » les femmes, où vivait la famille élargie, ont fait place à des immeubles modernes aux petits appartements individuels dans lesquels le mobilier imposant des ancêtres n’a plus de raison d’être
Les sièges en palissandre importés du sud de la Chine se garnissaient, lors des réceptions, de housses de soies brodées de motifs traditionnels
Les porcelaines célébrent la couleur, elles reflètent le goût des Peranakan pour l’association de couleurs vives et de dessins élaborés
Les rose, vert, bleu et marron sont les couleurs dominantes et se retrouvent d’ailleurs fréquemment dans les broderies et les ouvrages de perles
Ces porcelaines, appelées « famille rose » ont été fabriquées en Chine au XIXe siècle avec la technique élaborée d’émaux de couleurs posés sur une base blanche opaque, afin d’obtenir un rendu réaliste grâce aux nuances de couleurs
Certaines pièces de grandes qualité étaient commandées par centaines pour les banquets de cérémonie à l’occasion des mariages ou des anniversaires !
Les jarres assez exceptionnelles faisaient partie des grands ensembles de porcelaine et servaient à garder l’eau ou conserver les aliments
Les motifs sont là aussi des symboles traditionnels de bon augure, pivoines, phénix et grues
Des fleurs de lotus à la base et des emblèmes bouddhiques sur les couvercles font partie de l’art décoratif chinois mais sont également des symboles de protection
Ces pièces colorées, ensuite, furent réservées pour la décoration, les Peranakan adoptant les goûts et les habitudes coloniales de prendre le thé, ou mieux le café, dans des services en porcelaine européenne et en argenterie !
Les services à thé comportent de très petites tasses, car le thé très fort n’était servi qu’en petites quantités
Ces tasses étaient aussi utilisées pour présenter les offrandes destinées aux ancêtres sur l’autel familial
Le mariage était la grande préoccupation des Peranakan des milieux fortunés, les cérémonies étaient somptueuses et pouvaient durer jusqu’à une dizaine de jours avec changement de tenues régulièrement, costumes importés de Chine pour l’occasion
Les éléments d’ameublement, traversins, coussins, dessus de lit, rideaux sont en soie, rebrodés de fils de soie, fils d’or et d’argent
Les pompons de fils de soie agrémentent les amulettes de protection situées autour du lit nuptial
Les nombreuses et indispensables décorations étaient faites dans des ateliers chinois spécialisés mais les jeunes filles Peranakan se devaient de broder elles-mêmes quelques menus objets du trousseau, leur talent dans la réalisation d’ouvrages lié aux vertus de patience et de persévérance était une qualité impérative pour une future belle-fille !
Le motif brodé du dragon était exclusivement réservé à l’empereur, mais la communauté Peranakan, éloignée de la Chine continentale, n’accordait pas d’importance à cette interdiction et le marié considéré comme le roi d’un jour, arborait fièrement ce symbole impérial de protection
Les tenues nuptiales des Peranakan fortunés venaient de Chine et étaient semblables à celles revêtues à la cour de Pékin
Les vêtements chaudement doublés de fourrure de lapin étaient très inconfortables sous le climat tropical, mais les traditions devaient être respectées !
La tradition voulait que les mariés restent de longs moments à genoux devant l’autel des ancêtres et devant les personnages influents de la communauté, aussi les femmes prévoyantes confectionnaient-elles des genouillères qui, cachées sous les vêtements de cérémonie atténuaient quelque peu ces moments redoutés !
La présentation des pièces brodées de l’exposition protégées par de grandes plaques de verre sur lesquelles se réfléchissent les lanternes de décoration et les spots de lumière, ne favorise pas trop la prise de photos !
La broderie de perles est une grande particularité de la culture Peranakan, broderies généralement commandées pour des occasions festives et exécutées dans des ateliers chinois spécialisés de Penang
Cette nappe, destinée à la table de la chambre nuptiale est entièrement brodée avec une densité de 70 perles au centimètre carré ce qui revient à environ un million de perles ! Ces perles étaient achetées principalement en Tchécoslovaquie !
Les motifs, selon le goût pour l’Occident des Peranakan fortunés, sont copiés d’après des modèles de tapisseries européennes, ouvrages dits de dames, alors largement diffusés
Grosses fleurs épanouies, oiseaux, insectes, caractérisent bien l’esthétique des Peranakan à son apogée pour les débauches de couleurs vives, les compositions chargées et la prolifération de petits détails
Nappes et autres napperons brodés de perles étaient l’œuvre de femmes Peranakan désireuses d’orner leur intérieur
Les motifs décoratifs étaient choisis aussi parmi la tradition chinoise, toujours dans des couleurs vives avec des symboles de bon augure et de prospérité
De ouvrages que l’on qualifierait de kitsch …
…Surtout quand des arceaux de perles turquoise viennent ponctuer la touche finale !
Des broderies raffinées sur soie au travail impeccable…
…Comme ces rideaux de porte brodés en Chine d’animaux fabuleux…
…Se sont vus alourdir de franges de perles surajoutées conformes en cela au goût des Peranakan
Des pièces assez sobres généralement brodées au passé empiétant surlignées de fils d’argent ou d’or…
…Témoignent du goût raffiné de quelques esthètes de la communauté !
Le goût pour l’ostentation et l’affichage de la fortune familiale éclate dans les bijoux où l’or le dispute aux diamants et pierres précieuses
…Et surtout dans les très lourdes ceintures maillées de plaques d’or gravées, qui servaient de viatique pour les femmes en cas de répudiation
La Kebaya ou « chemisier » est encore aujourd’hui le symbole le plus distinctif de la mode et de la culture Peranakan, reflet de la fusion des influences chinoises, indonésiennes et occidentales
Elle est traditionnellement portée sur un sarong de coton en batik
Le léger voile de coton brodé adapté au climat chaud et humide local est remplacé aujourd’hui par des tissus synthétiques et des broderies machine
Cette tenue très élégante dans sa forme actuelle est apparue seulement dans les années 1930, mais sous l’influence de la mode, elle a tendance à se faire indécente avec des corsages transparents et des jupes très ajustées
Aujourd’hui beaucoup de « Nonyas » portent encore cette tenue pour les grandes occasions et son style inspire toujours la mode en Indonésie
Le choix des motifs des sarong traduit les influences chinoises pour les représentations d’animaux mythiques, de dessins floraux ou de symboles de la philosophie chinoise, et européennes pour les bouquets de fleurs et les rubans
Les plus beaux sarong venant de Java étaient commandés spécialement par les Peranakan qui appréciaient, grâce au développement des teintures chimiques, leurs couleurs pastel lumineuses
Les Peranakan recherchaient surtout les batik signés par les ateliers renommés, car les signatures protégeaient les droits des motifs et servaient de nom de marque
Fin du voyage et retour en terre connue !