Paris – Musée du Quai Branly – 2010
Les Adivasi ou « premiers habitants » sont des peuples minoritaires, sociétés dites tribales de l’Inde rurale, forte aujourd’hui, de plus de soixante millions de personnes, réparties sur l’ensemble du territoire
Les Adivasi vivent toujours de manière traditionnelle et isolée à la marge de la communauté majoritaire hindoue, tout en entretenant des contacts avec celle-ci
Mais en raison de critères dits archaïques, absence d’écriture, différence de langage, règles de vie différente, ils se trouvent exclus du système des castes, méprisés et souvent victimes d’actes de violence de la part de la population à dominante hindoue
L’art populaire contemporain des Adivasi produit des œuvres artistiques étonnantes, tant utilitaires que sacrées, bien différentes des modèles connus de l’art indien
Ces communautés tribales et paysannes fortement attachées à leurs traditions séculaires et à leurs croyances religieuses assument l’arrivée de la modernité dans leur culture orale et visuelle…
…Qui tend à transformer leurs subtils objets culturels, considérés auparavant comme des objets ethnographiques, en œuvres d’art
Les Occidentaux experts à classifier ces objets de culte considèrent que, s’ils sont sans fonction au sein de la communauté, ils deviennent alors des ouvrages dignes d’entrer dans le monde de l’art
Ces statues en bois de jaquier viennent de Kannara, dans le sud de l’état de Karnataka, au sud-ouest de l’Inde
Le culte des Bhuta, les esprits des ancêtres, des parents et même des animaux disparus y est très répandu
S’ils sont offensés, ces esprits, habituellement bienveillants et protecteurs, peuvent exercer une influence malfaisante. Pour jouir d’une bonne santé et disposer sereinement de ses biens, mais aussi pour éviter les préjudices causés par le courroux de ces esprits, il faut vouer un culte à leurs images.
Généralement ces formes anthropomorphes et animales plus grandes que nature sont placées dans des sanctuaires, des maisons ou des champs, à la périphérie des villes…
A cause des influences réciproques entre l’hindouisme régional et le culte local des Bhuta plusieurs d’entre eux ont été identifiés à des divinités hindoues
Selon la légende, les Bhuta étaient à l’origine les gardiens du dieu hindou Shiva
En de nombreux endroits, ce sont les castes hindoues d’artisans qui réalisent les images cultuelles et les figures votives, et font que leurs objets répondent parfaitement aux besoins de leurs clients tribaux.
Pour se protéger des calamités et assurer la prospérité, pendant le sacrifice aux Butha, un intercesseur porte le masque de la divinité afin de communiquer avec elle et apporter ainsi des solutions rituelles aux problèmes de la communauté
A Manipur, dans le nord-est de l’Inde, on vouait un culte à une divinité souterraine représentée sous la forme d’un serpent python à tête de cerf avec des épines dorsales, d’un aspect féroce
Pour apaiser cet esprit malveillant, on lui faisait des sacrifices jusqu’à ce qu’un saint local parvienne à l’éliminer
Sa mémoire subsiste pourtant dans les danses actuelles et chez les artistes contemporains
Dans la culture Santhal, un palanquin transporte, le soir des noces…
…à un moment particulier qui s’appelle « Goddhuli » ou la poussière levée par le retour des vaches, la nouvelle épousée de sa famille d’origine à celle du foyer conjugal
Dans les villages, la nuit tombée, un conteur relate l’histoire du dieu Pabuji, qui par son héroïsme est le vainqueur des forces maléfiques
Le conteur déroule peu à peu les peintures pouvant atteindre jusqu’à 7 m de long, disposées sur de longs rouleaux tout en narrant l’histoire, épisodes par épisodes, nuit après nuit
Les villageois ce faisant, invoquent le dieu pour lui réclamer sa protection, chasser la mauvaise fortune ou les maladies
Les tribus Rathava habitent dans les montagnes et les forêts au Gujarat, dans l’ouest de l’Inde
Le dieu qu’ils vénèrent, Pithoro, joue un rôle capital dans le mythe de la Création
Les hommes de la communauté réalisent des peintures colorées retraçant sa légende sur le mur central des maisons
Pour l’exposition, la peinture a été exceptionnellement réalisée sur toile
Les gigantesques figures équestres en terre cuite (jusqu’à 3 m de haut) dédiées à Ayyanar, le dieu puissant qui, selon les croyances de la population du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, protège les villages des esprits malfaisants
Les sanctuaires à ciel ouvert qui lui sont consacrés se trouvent souvent près d’étangs, à la limite des villages, et même sur les grandes routes
Des images d’Ayyanar, sont placées au centre du sanctuaire, entourées de chevaux, d’éléphants, de bœufs, de vaches, de chiens et de statues de gardes et de guerriers.
Ces figures votives sont offertes par les fidèles en remerciement de la protection d’Ayyanar qui mène sa chasse nocturne contre les esprits maléfiques avec son cortège de chevaux et de guerriers
Ces figures, œuvres de potiers qui sont aussi les prêtres du culte d’Ayyanar sont peintes de couleurs vives après la cuisson
La créativité artistique des tribus Naga, au nord-est de l’Inde, aujourd’hui encore, reste inspirée par leur importante tradition orale et les mythes de leurs origines.
Les Naga, dont l’organisation sociale ignore pratiquement le système des castes, accordent une importance majeure à l’égalité entre hommes, guerriers et protecteurs, et femmes, en charge du foyer et de la nourriture
Cet aspect de leur culture se retrouve dans leurs créations, sculptures guerrières et armures, bijoux et textiles
Une politique d’ouverture, ces dernières années, et l’accès à de nouvelles techniques ont incité des artistes indiens contemporains, oscillant entre héritage et modernité, à passer de la tradition collective à une expression plus individuelle
Jangarh Singh Shyam (1962-2001), de la tribu Pardhan Gond du district de Mandla, dans l’État du Madhya Pradesh, au centre de l’Inde, artiste fortement influencé par l’art aborigène d’Australie mais également inspiré des mythes de sa propre culture
Ces peintures représentent des arbres, des animaux et des divinités de la mythologie Pardhan Gond
De nos jours, les capitales des États indiens du Madhya Pradesh et du Chhattisgarh regorgent de peintures colorées réalisées par de jeunes artistes gond
C’est Jangarh Singh Shyam qui, le premier, a exploité cette forme artistique traditionnelle pour s’exprimer sur des évènements personnels
Alors que Jangarh Singh Shyam commençait à se faire une place dans le monde de l’art indien, plusieurs autres jeunes hommes de sa communauté l’ont pris pour modèle et l’ont copié afin de trouver leur propre créativité
C’est ainsi qu’est né ce style collectif que l’on appelle « peinture gond »
À Bhopal, Jangarh Singh Shyam découvre l’art moderne indien. Sans tarder, il s’initie à l’aquarelle sur papier, à la peinture sur toile, au dessin et à la gravure
Bien qu’au contact permanent d’artistes contemporains indiens, il reste imperméable à leur influence artistique
Il préfère peindre les légendes de sa communauté, y intégrant néanmoins les images de son nouvel environnement urbain
De son arrivée à Bhopal dans les années 1970 à sa mort en 2001 au Japon, Jangarh Singh Shyam a réalisé une centaine d’oeuvres, devenant un artiste reconnu
A travers ses peintures, ses dessins, l’artiste, pour rendre la vibration de la vie, par la simple juxtaposition de points, trouve à chaque fois un style approprié d’une rare originalité et élégance
Jangarh Singh Shyam s’est suicidé au Japon, alors qu’il y était invité en résidence culturelle
Le monde de l’art qui exploite les œuvres, souvent sans droit de regard des artistes, ne lui a sûrement pas permis de trouver sa place comme créateur à part entière, lui qui venait d’une culture peu familière des règles des marchands d’art
Les peuples Warli vivent au Maharashtra,dans l’ouest de l’Inde, où traditionnellement les femmes et les enfants peignent en blanc des rondes de petits personnages se tenant par la main ou participant aux activités villageoises
Ces figures humaines sont formées de deux triangles opposés avec une tête ronde et des membres filiformes.
Jivya Soma Mashe (né vers 1930), d’origine Warli, bénéficia de l’arrivée d’un nouveau support, le papier, pour explorer la peinture narrative
Il a développé à partir de l’inspiration ancestrale, une peinture personnelle qu’il diffuse maintenant sur toile à travers le monde
Fortement inspiré par la tradition de sa région d’origine, où il continue à vivre avec sa famille, il contribue grandement à révéler la force et les subtilités d’une pensée sociale et religieuse dans ses compositions, et à transmettre ainsi un magnifique et puissant message universel.
Son exemple rayonne aujourd’hui à travers le monde et son style se reconnaît comme celui d’un maître
Ces cultures, entre tradition et adaptation obligée aux contraintes contemporaines, tout en gardant une fidélité à des valeurs villageoises et des comportements sacrés ancestraux rendaient cette exposition fort intéressante
Nous avons visité cette exposition par un beau jour de juillet qui donnait envie de se balader près de la Seine…
…Jusqu’aux Champs Élysées…
…Beau lendemain d’un 14 Juillet 2010 qui, cette année, fut bien arrosé !