Paris – Musée du Louvre – 2010
Cette exposition est consacrée à la Russie des origines du christianisme jusqu’au XVIIIe siècle, époque ou le nouveau tsar, Pierre le Grand a résolument par ses réformes politiques et esthétiques radicales, tourné son pays vers l’Occident
Une exposition consacrée au passé religieux de la Russie, venant bien à propos en ces temps où l’église orthodoxe reprend une prédominance qu’elle avait perdu sous le régime soviétique, encouragée par les nouvelles élites russes, alliance connue du sabre et du goupillon !
La restauration et même les reconstructions d’églises disparues tentent de prouver qu’un fort désir identitaire anime la population d’aujourd’hui, en se prévalant d’une culture russe spirituelle et mystique largement réinventée par le romantisme du XIXe siècle
Le Tsar Pierre le Grand succède à son demi-frère Féodor, mort très jeune. le contraste est frappant entre les deux représentations, l’une de façon hiératique, semblable à une icône, avec pelisse, fourrure et croix pectorale, l’autre en souverain moderne, avec les attributs de la royauté occidentale contemporaine
Une dizaine d’années séparent les deux peintures et deux mondes en réalité
Pierre le Grand bâtit de toutes pièces sa capitale Saint-Pétersbourg, en faisant appel aux artistes Français et Italiens qui apportent avec eux le nouvel art baroque puis rococo alors en vogue en Europe
La maquette originale du projet de l’architecte franco-italien appelé par la Cour de Russie pour bâtir ce complexe monastique bien qu’au goût du jour, intègre aussi le vieux style des clochers à bulbes et de l’enclos. Le clocher, jugé extravagant n’a jamais été construit !
Avec la conversion au christianisme de Vladimir prince de Kiev au Xe siècle, l’art sacré emprunte largement au style de Byzance, le grand modèle de religion orthodoxe et à celui du roman occidental avant de s’en affranchir pour devenir un art russe authentique
Les manuscrits enluminés diffusent le nouveau dogme et leurs précieuses peintures s’inspirent des émaux byzantins, ils reprennent leurs couleurs vives et leurs marges décorées celles des fibules de pierres précieuses. Le bleu symbole du spirituel y est très présent
Les peintures byzantines sous forme d’icônes sont acheminées vers Kiev et Novgorod, les grandes villes marchandes puissantes pour orner les innombrables lieux de culte, elles seront copiées mais dans un style propre à la Russie
Les icônes, images médiatrices entre l’homme et Dieu aux figures frontales, immobiles, sans modelé se détachent sur un fond d’or, symbole de la lumière divine
L’émouvante « Vierge de tendresse « est ainsi couramment représenté dans une attitude rêveuse pleine de douceur. avec un léger voile de tristesse, sa dimension spirituelle est propre à la peinture russe
La composition harmonieuse et le choix délicat des couleurs suggèrent que cette copie de la Vierge byzantine de Vladimir, serait de la main d’André Roublev, figure mythique de la peinture russe, le dernier des grands peintres de tradition byzantine
Les icônes, vénérées comme miraculeuses feront l’objet de nombreuses copies. La Vierge de la Tolga est un modèle adapté des peintures à mi-corps plus anciennes, ce style pénétrera en Italie du Nord, le trône aux arcatures se retrouvera dans les peintures du Trecento
Le trône, les anges en adoration, la position et l’attitude de l’enfant font partie du vocabulaire des hymnes mariales chargées de symboles et de métaphores, mais notre éducation contemporaine ne nous rend plus sensible qu’à la beauté de l’œuvre d’art
Les scènes de l’Annonciation sont nombreuses sur les iconostases où les figures dématérialisées sur fond d’or, enveloppés de lumière, irradient aussi la lumière attachée à leur sainteté
Les architectures monumentales encadrent les scènes en leur donnant de la profondeur, l’équilibre des couleurs, sombres intenses avec des touches plus vives soulignent le raffinement des compositions
Le rythme tranquille et grave de Gabriel aux ailes largement déployées, le grand pas fait vers Marie au geste d’étonnement concourent à l’expressivité des personnages
Les icônes aux personnages très colorés, en à-plat, dans un espace vide, sans décor et sans perspective sont des types iconographiques courants
Debout, l’épée à la main, revêtus du costume princier traditionnel, en pourpre symbole de royauté, les saints martyrs Boris et Gleb sont représentés dans un style élancé et aristocratique avec une forte individualisation des visages
L’une des premières représentations des deux frères, les plus célèbres figures de la sainteté russe, non plus de face, mais chevauchant côte à côte, cette vision des saints cavaliers à la ligne élégante et aux détails décoratifs donnant une image majestueuse et héroïque, est un des sommets de l’art de Novgorod
Ce Saint Georges, terrassant le dragon, saint guerrier que la ferveur populaire assimile au protecteur de la Russie, est une icône particulièrement lisible pour la force de la vérité et de la foi sur les forces du mal
Les grands à-plats de couleur primaire, le cheval d’un blanc éclatant, le nimbe, le vert du manteau flottant au vent, sur un fond rouge intense, la ligne sinueuse du dessin et sa simplification sont les caractères de l’école de Novgorod, grande et riche ville marchande du nord de la Russie
La Dormition ou mort de la Vierge est une composition qui suit précisément le schéma byzantin
Ces icônes appelées « la Dormition aux nuages » ont connu un vif succès en Russie, en référence au voyage dans les airs des apôtres
Sur le fond d’or de la lumière divine, les apôtres, dans des nuages poussés par des anges se rendent miraculeusement à Jérusalem, à la mort annoncée de Marie…
…tandis que le Christ, dans une mandorle peuplée d’anges bleus, recueille symboliquement l’âme de sa mère sous forme d’un enfant emmailloté
La perfection classique de l’œuvre, les accords de couleurs harmonieux et recherchés, les multiples tons de bleus lui valent aujourd’hui le nom de « Dormition bleue »
J’avoue que cette icône était l’une de mes préférées de toute l’exposition
Les icônes les plus vénérées deviennent les protectrices du pays, ainsi l’icône de la Vierge de Vladimir lors de son transfert à Moscou aurait protégé la ville de l’invasion des troupes de Tamerlan à la fin du XIVe siècle
Ce miracle est l’objet de la peinture, la Vierge est solennellement accueillie par tout le clergé et par l’empereur devant le Kremlin de Moscou. Cette procession de la « Fête de la Rencontre » fut renouvelée ensuite chaque année
L’œuvre aux couleurs vives, l’attachement méticuleux aux détails, le rendu des somptueux vêtements princiers font de cette icône un témoin éloquent de la peinture du XVIIe siècle
Le registre céleste de la Déisis, groupe du Christ entouré de la Vierge et de Saint Jean Baptiste en intercesseurs, est associé en bas de l’icône à celui profane des commanditaires de l’œuvre, image assez rare dans l’iconographie orthodoxe
Les boyards revêtus des habits de leur état, longues pelisses, caftans et bottes, accompagnés de petits enfants, offrent l’image concrète de la société patricienne de Novgorod à la fin du Moyen Age
Pierre, métropolite de toutes les Russies, déplace au début du XIVe siècle, le siège de l’église orthodoxe de Kiev à Moscou, favorisant ainsi l’essor de cette nouvelle capitale. Reconnu au nombre des saints comme Père de l’Église, son culte servait ainsi à la gloire de l’État et de l’Église russe
Pierre, revêtu du vêtement sacerdotal des archevêques provient d’une Déisis démembrée, l’effet décoratif du tissage des croix inscrites dans des médaillons au style très graphique me fait irrésistiblement penser aux peintures symbolistes du XIXe siècle, tant par le traitement en à-plat que par l’effet décoratif des motifs
Ce pokrov, image peinte ou brodée destinée à recouvrir un tombeau, comme présentation idéalisée d’un saint, a été brodé sur soie avec différents points, tous d’une grande finesse
Alexandre Nevski, héros national du Moyen Age russe, est représenté avec une élégante stylisation des formes et des drapés, mais sa présence sévère traitée sobrement, dépourvue de luxe, transforme son image en véritable icône
L’étrangeté de la figure aux yeux clos me renvoie encore une fois au mouvement symboliste d’une époque bien postérieure !
La Trinité, peinture la plus célèbre d’André Roublev n’a pas fait le voyage jusqu’à Paris en raison de sa fragilité…
Cette icône, offrant une vision de la beauté parfaite constitue aussi une expérience mystique, les anges fort peu individualisés symbolisant l’unité parfaite de la Trinité
La composition savante et la transparence des couleurs lumineuses jaune-vert et ocre clair avec du blanc pur donnent l’illusion d’une peinture éclairée de l’intérieur.
Le traitement énergique du volume et de l’espace, les figures élégantes aux drapés fluides, à la ligne souple, font de cette icône le sommet de la peinture russe médiévale
L’Oklad est le revêtement en métal précieux des icônes les plus vénérées, celui de la Trinité a été enrichi au cours des temps
De grands personnages ont contribué à sa munificence, Yvan le Terrible, Boris Godounov, Michel I° Romanov successivement, chacun voulant s’approprier ce symbole de légitimité dynastique. Seuls les visages, les mains et les pieds échappaient à cette débauche d’orfèvrerie
Le cadre est régulièrement ponctué de plaquettes d’or peintes de figures saintes, alternant avec de gros cabochons de pierres précieuses. La chaine et les colliers suspendus aux cous des anges, les nimbes avec perles, pierres précieuses et camées anciens en remploi, enfin les vêtements faits de lames d’argent doré travaillées au repoussé, tout concourt à faire de cet oklad un objet extraordinaire à la grande gloire de la Divinité
Évidemment à nos yeux contemporains, tout ce déploiement de richesse semble anachronique si ce n’est du plus mauvais goût !
Un détail curieux ne laisse pas de m’intriguer, sur les icônes les plus vénérées, on n’hésitait pas, pour faire tenir l’Oklad, à percer la si précieuse peinture de nombreuses pointes laissant maintenant de multiples trous tout autour des figures saintes
Il est vrai que les revêtements, dans l’esprit des généreux donateurs, n’étaient pas destinés à être ôtés !
Cette peinture de la Trinité unanimement admirée, inspire deux siècles plus tard une autre Trinité aux anges, mais dans le style hybride propre au peintre
Si les anges sont conformes à la peinture d’icône, en revanche le fond est rempli d’une architecture classique et d’un chêne peint de façon réaliste prouvant assez qu’Ouchakov n’ignorait rien de l’art occidental contemporain. Les couleurs suaves, les détails minutieux et le modelé des visages et des mains en font pour moi une peinture d’une sensibilité proche de l’art baroque
Les objets de culte façonnés dans l’or, l’argent, enrichis de pierres précieuses fascinent toujours autant les visiteurs ! En dépit de cette richesse plutôt ostentatoire, le travail d’orfèvrerie reste remarquable de finesse et d’invention
Le socle de la patène, proprement extraordinaire est formé par quatre anges en argent doré, dans la position de cariatides, juchés sur des lions. Les fleurons très travaillés empruntés au gothique flamboyant et les figures puissamment stylisées en font une synthèse réussie de l’art médiéval occidental
Les luxueux calices aux décors finement gravés dans l’or et l’argent, s’inspirent du style naturaliste des objets byzantins, les élégantes volutes se retrouvant encore dans l’art médiéval d’occident
De grosses perles en filigrane d’or auxquelles sont suspendus des médaillons enrichis d’émaux, de perles et de pierres précieuses témoignent de l’habileté des orfèvres russes, qui s’inspirent de modèles byzantins et occidentaux contemporains
Ce collier fait partie d’un trésor retrouvé fortuitement à la fin du XIXe siècle, les figures de la Vierge et de deux saintes en émail sur fond d’or prouveraient que cette parure était destinée à une femme proche de la cour du tsar
Le diadème en plaquettes d’or avec émaux se portait au-dessus d’un voile de tête, les pendeloques tombant sur le front et les images saintes tutélaires sont typiques de l’art byzantin
Élément de tenue princière, le diadème n’ayant pas été dépecé reste un exemple de la maîtrise des orfèvres œuvrant à la cour de Kiev
Cette exposition si riche ne comportant que de l’art sacré devient vers la fin un peu lassante, les représentations religieuses commençant à occulter notre sens du profane !
Toutes les photos sont tirées du gros, très gros catalogue de l’exposition, mais les commentaires sont de mon cru, pas de « copier-coller » d’articles de journaux, aidés en cela par les cartouches des œuvres exposées et par mes petites connaissances acquises le long des années…