Paris – Musée du Quai Branly
Une exposition qui s’est révélée passionnante par la variété des objets exposés bien sûr mais surtout par le parcours historique jamais ennuyeux tout au long de la visite
De belles collections de poteries néolithiques, de bronzes rituels et quelques précieuses porcelaines venues principalement du Musée National de Chine pour évoquer la longue histoire de la Chine par le biais ludique de l’évolution des pratiques culinaires
Le développement de l’agriculture au cours de la période du néolithique transforme peu à peu les chasseurs-cueilleurs en paysans sédentaires et la maîtrise de la poterie devint nécessaire pour passer définitivement du cru au cuit
Vers 3000 avant notre ère, les poteries qui servaient pour les cuissons des aliments accompagnèrent les progrès de l’agriculture
Pour chauffer les liquides, des récipients tripodes en poterie assez fruste mais commodes de par leur forme sont placés au-dessus du foyer, d’autres pots les surmontent pour cuire les céréales à la vapeur, millet et riz, afin d’obtenir le « Fan » la bouillie de céréales, base de l’alimentation commune
L’apparition et la maîtrise du tour de potier et des fours favorisèrent l’obtention de pièces robustes de grandes dimensions et contenances dans une variété de formes et de décors infinie
Les décors géométriques stylisés avec spirales, volutes, ondulations, arcs de cercles et lignes tangentes peints en noir ou rouge vineux se détachent habituellement sur le ton naturel de la terre cuite, la partie inférieure de la panse restant toujours dépourvue de dessins
Beaucoup de ces poteries, retrouvées dans des sépultures, contenaient les offrandes habituellement enfouies avec les défunts
Du IIème millénaire à 200 avant notre ère, la métallurgie du bronze accompagne un état souverain qui se centralise, les objets de bronze constituant l’apport artistique le plus important de la Chine ancienne
Le bronze permet de forger des armes et des outils et surtout de fondre une riche vaisselle destinée à contenir les offrandes sacrificielles consacrées aux ancêtres et aux dieux de la nature lors des banquets rituels
La communion avec les puissances divines sert le pouvoir de l’aristocratie et s’en trouve renforcé
Chaque forme de vaisselle fixée par les rituels est en rapport avec leur destination comme les vases tripodes pouvant être mis sur le feu pour cuire les viandes, gibiers ou animaux domestiques, dans un bouillon ou en ragoût, mets réservés à l’aristocratie évidemment
La classification des contenants fait qu’à chaque catégorie de viande correspond un vase tripode, mais seul l’empereur a l’apanage de posséder 9 « Ding » différents ! Où la transformation d’une simple marmite en vase sacré !
Les vases destinés aux offrandes de céréales, de graines et de légumes sont trapus et pesants comme l’expression de l’importance donnée à ce type d’alimentation
Le rituel du « Ministère des nourritures » sous la IIIe dynastie royale mentionne quelques 335 spécialistes, uniquement dans le palais, attachés à la préparation des céréales !
D’autres bronzes aux formes élégantes et élancées sont plus spécifiquement adaptés pour faire tiédir les boissons et pour servir les liquides alcoolisés
Venant de la fermentation des surplus des céréales, le vin obtenu est coupé avec de l’eau et bu aromatisé avec des épices
La possession des puits et les réserves d’eau conservées dans des jarres couvertes, nécessaires pour la cuisine à la vapeur, sont en relation et se trouvent réglementées par un pouvoir centralisé
Les inscriptions rituelles marquées sur les bronzes anciens seront à l’origine de l’écriture chinoise, d’où l’importance, même indirectement, des arts de la table en Chine !
Lors des banquets, comme la coutume est de manger avec les doigts, les longues baguettes ne servant qu’aux cuisiniers, les serviteurs présentent aux convives des « Pan » bassins et des « Yi » verseuses pour les ablutions rituelles
La technique de la fonte de ces bronzes à cire perdue ou avec l’usage de moules en argile a permis une grande précision des décors aux patines d’un poli parfait dans les œuvres les mieux conservées qui varient dans des tonalités allant des bleus jusqu’aux verts marbrés de brun
Les motifs des décors sont caractéristiques de l’art chinois ancien, ils se rattachent avec une force contenue aux croyances primitives et à la magie, aux vertus propitiatoires liées à un pouvoir occulte uniquement contrôlé par les souverains et la grande aristocratie
Les décorations linéaires de bandes ou de chaînes alternent avec des masques énigmatiques d’animaux dont les célèbres représentations des « TaoTié » animaux imaginaires s’apparentant aux dragons mâtinés de tigres et destinés à protéger les vases rituels en servant de repoussoir aux forces maléfiques
De simples lignes gravées aux décors en relief profond se détachant très nettement du fond entièrement recouvert de spirales sont caractéristique des vases en bronze les plus anciens…
…la réunion de plusieurs formes connues qui s’unissent pour en créer des nouvelles devient très fréquente…
…avant l’abandon progressif des masques d’animaux au profit, sur le corps des vases, d’un décor linéaire assez monotone de ciselures ondulantes
Après les péripéties historiques dues aux ambitions de tous les clans pour gagner le pouvoir, la dynastie Han installera pour plusieurs siècles une unité nationale et une prospérité dont profitera l’art culinaire qui ne se cantonne plus à la cour et aux maisons princières mais gagne les demeures des dirigeants civils et militaires et des grands propriétaires fonciers
Sous la dynastie Han, apparaissent les premiers livres de cuisine » Couper et cuire » avec de nombreuses recettes pour enseigner la théorie de l’art culinaire
Chaque grande maison comporte une cuisine où seulement les hommes officient, de très nombreuses statuettes funéraires témoignent de l’importance d’avoir chez soi de bons cuisiniers !
Rien ne doit manquer, des étagères pour les provisions et les ustensiles autour du four, jusqu’au puits dans la cour et les réserves abritées pour conserver les viandes fraiches et séchées
Les préparations sont bien plus raffinées qu’auparavant, l’introduction de la graisse animale puis de l’huile végétale autorise les cuissons à haute température, rissoler, rôtir et frire deviennent des préparations courantes
La salle de banquer est la pièce la plus importante de la maison, dans laquelle se réunissent les convives assis tout autour de la pièce sur des nattes devant de petites tables individuelles sur lesquelles les serviteurs apportent au fur et à mesure les mets depuis les cuisines
Tout est déjà prévu pour la commodité, de petits réchauds portatifs avec des braises, placés à côté des convives servent à maintenir les aliments au chaud…
…tandis que des vases avec couvercle gardent le vin de céréales à la bonne température et ainsi permettent de le boire habituellement tiède
Les mets brûlants servis dans de grandes assiettes creuses, nécessitent de manger, enfin ! avec des baguettes, celles-ci faites de métal précieux entrent définitivement dans les mœurs
La vaisselle de table délaisse les bronzes pour leur préférer les laques et les terres cuites vernissées
L’espace restant vide au milieu de la salle de banquet permet aux serviteurs de circuler et reste une place de choix pour le divertissement !
L’animation musicale entrecoupée de danses, de mimes et d’acrobaties est là pour distraire les convives
Ces objets et ces statuettes funéraires permettaient aux Chinois privilégiés de pouvoir toujours se distraire en bonne compagnie jusque dans l’au-delà !
L’art de vivre sous la dynastie des Tang pendant les siècles d’unité et de prospérité qu’elle instaura représente le véritable âge d’or médiéval chinois
Venant des contrées à l’ouest de la Chine, la technique de la mouture des grains de blé est adoptée et permet de fabriquer des petits pains et enfin des pâtes !
Les soupes chinoises, bouillons avec longues pâtes de blé et les raviolis deviennent très populaires et sont souvent proposés dans la rue par des marchands ambulants
C’est comme cela que Marco Polo aurait découvert la dégustation des pâtes à la chinoise !
Les échanges commerciaux favorisés par la construction de routes et de canaux permettent aux Chinois de goûter aux produits tropicaux, luxe venu de loin, ils consomment et acclimatent des fruits exotiques, le raffinage du sucre de canne, importé de l’Inde, permet la confection de gâteaux et de confiseries
Au VIIIe siècle, dans les maisons aristocratiques des Tang les chaises hautes et les tables remplacent la vieille habitude des repas pris au sol, les mets raffinés sont présentés dans de la vaisselle luxueuse
Les élites chinoises entichées des modes venues de pays lointains exhibent des pièces d’orfèvrerie de goût étranger…
…et affectionnent les œuvres façonnées par d’habiles artisans réfugiés en Chine après l’effondrement de la Perse sassanide au moment de l’invasion musulmane
Majestueuse dans une robe d’un somptueux bleu intense, la statuette à la « face lunaire » et à la coiffure volumineuse, idéal de la beauté féminine sous les Tang au VIIIe siècle, atteste avec évidence le goût des élites chinoises pour la bonne chère !
La suite de l’article sera plus spécialement consacré aux porcelaines Song, Ming et Quing