Paris – Musée Guimet 2010
J’ai toujours rêvé à ce que dans la littérature enfantine on appelait les terres de légendes, terrains idéaux pour les grandes aventures de nos héros préférés, comme l’Inde féerique et ses trésors de Golconde !
L’exposition que le Musée Guimet a consacré à l’art du Gandhara, période mythique du passé indien est venue rappeler que certaines civilisations disparues font toujours rêver les grands !
Petit préambule à cet article pour exprimer mon étonnement et ma stupéfaction car l’exposition de sculptures venant des musées du Pakistan était jalousement surveillée par un bataillon de gardiens soupçonneux à la limite de l’agressivité !
Appareils photos soigneusement rangés dans nos sacs bien fermés, à l’abri des yeux inquisiteurs de la gent gardiennesque, nous avons parcouru les salles au milieu d’innombrables et lassants fragments de pierre, les explications très savantes des cartouches étaient à peu près incompréhensibles, à moins d’avoir fait plusieurs années d’études d’archéologie orientale !
Heureusement que deux ou trois très belles statues étaient quand même à admirer !
Très dépités, nous sommes ensuite allés revoir mes sculptures préférées, dont les seules photos illustrent cet article, dans les collections du musée Guimet, tranquillement, car le département consacré aux antiquités du Pakistan et de l’Afghanistan n’est guère assailli par les visiteurs
Le Gandhara est un ancien royaume gréco-bouddhique qui trouve son essor entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère et que l’on situe au Nord-Ouest de l’actuel Pakistan
Terre d’invasions et d’échanges commerciaux florissants de longue date avec les mondes iranien et parthe, le Gandhara voit naître et se développer une civilisation hybride, apparentée aux traditions grecques tardives, souvenirs des conquêtes d’Alexandre le Grand
Par le truchement de l’activité commerciale de Rome, l’influence de la culture hellénistique de l’Orient romain permet à l’art du Gandhara de présenter de curieuses réminiscences classiques illustrant à l’occidentale des thèmes essentiellement bouddhiques
Ces échanges entre différentes cultures ont joué un grand rôle dans le développement iconographique et l’expansion du bouddhisme hors de l’Inde, et les éléments gréco-bouddhiques se retrouveront dans les représentations bouddhiques qui jalonneront la Route de la Soie jusqu’au lointain Japon
La grande innovation du Gandhara est la création de la personne historique du Bouddha prenant une place dans les scènes où il n’était avant représenté que par des symboles, création peut-être due à des artistes gréco-romains originaires d’Asie occidentale mais fixés de longue date dans cette région
Les canons artistiques se précisent dans les gestes et les attitudes et se compliqueront par la représentation d’un panthéon bouddhique de plus en plus considérable
Le Bouddha apparait sous les traits apolliniens d’un jeune adulte au nez rectiligne en prolongement du front, la bouche fermement dessinée, seules les lourdes paupières recouvrant à demi les yeux légèrement saillants, l’empâtement du visage et l’allongement du lobe des oreilles étiré par le poids des bijoux trahissent son type oriental
Vêtu d’une robe dissimulée par un vaste manteau monastique qui lui couvre les deux épaules, il parait drapé dans un himation adhérant au corps et dont les plis concentriques saillent fortement en relief
Déjà il possède les signes symboliques affirmant sa sainteté comme entre les yeux la loupe de poils, ses cheveux en ondulations régulières sont réunis sur le sommet de la tête en un chignon serré à la base par une cordelette ouvragée
C’est la déformation de ce chignon mal interprété qui donnera naissance à la protubérance crânienne dont tous les types de Bouddha seront dotés par la suite !
Les bodhisattvas portent le costume classique de prince indien mais traité à l’antique par des « drapés mouillés », les coiffures, les bijoux indiquent une origine de l’Asie des steppes
Ces séduisants bodhisattvas vêtus et parés comme des Râja aux visages aux traits métissés, agrémentés d’une fine moustache ondulante, semblables à des personnages profanes…
… laissent supposer que de tels bodhisattvas, au demeurant nombreux, représentaient sûrement des souverains locaux
Le site archéologique de Hadda, dans la région du Gandhara qui, par sa situation géographique favorisa un brassage de populations et de cultures a exhumé nombre de statues en stuc ou modelées en terre crue, séchée et peinte…
Le visage du Bouddha d’une facture expressive visant le réalisme, la finesse dans le traitement de la bouche délicatement ourlée, confère à ces traits une expression songeuse, renvoyant à l’époque hellénistique finissante…
…Prouvant la connaissance des artistes, peut-être eux-mêmes de culture gréco-bouddhique, témoignant d’un retour à la tradition grecque en délaissant les influences indiennes
Des programmes de grandes sculptures illustraient des épisodes de la vie du Bouddha et constituaient le décor du site
D’autres visages au profil élégant, au front haut, aux joues pleines, à l’ovale arrondi, sont encadrés d’une chevelure libre et bouclée …
…illustrant parfaitement ce renouveau hellénisant combiné à une plastique résolument indienne
A la fin de la civilisation du Gandhara, les influences occidentales au réalisme hellénistique s’intègrent dans un art nouveau…
…où la grâce efféminée au charme quelque peu alangui fait écho à certaines origines iraniennes
La civilisation du Gandhara disparaît peu à peu après les invasions des Huns, traduisant la fin d’un monde antique mais laissant en héritage un art qui influencera durablement tous les pays d’Asie