Paris – Salon l’Aiguille en fête – IV – 2015
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Les « peinture en fils de soie » de la brodeuse australienne mais d’origine chinoise Margaret Lee, exposées sous verre à la manière de tableaux, d’une précision dans les détails assez prodigieuse, attiraient évidemment l’enthousiasme des visiteurs !
Margaret Lee travaille dans le style de broderie appelé « Su » originaire de la province de Suzhou, un des quatre grands styles classiques de la broderie chinoise, dont les règles fixées au XIXe siècle mais réactualisées de nos jours s’enseignent actuellement non seulement en Chine mais aussi dans les pays où s’est installée une diaspora chinoise très entreprenante
A la différence des broderies traditionnelles destinées à afficher le statut social par des motifs et des couleurs spécifiques et marquant les vêtements et les parures, les objets et les décorations de la maison, cette école de broderie fut créée dans le but avoué de rivaliser avec la peinture, les deux techniques étaient d’ailleurs reconnues, l’œuvre originale et sa copie brodée, comme œuvres d’art à part entière
Réalisées sur soie par les femmes oisives des classes aisées, la soie matière fréquemment utilisée comme support de l’art décoratif, ces broderies encadrées venaient décorer les murs intérieurs des demeures aristocratiques et orner les appartements privés des maisons de fonctionnaires
Ces broderies reproduisent à l’identique la composition d’œuvres picturales et doivent approcher au plus près le modèle choisi dans ses moindres détails, la liberté des exécutants se bornant dans le choix exigeant des mille couleurs et nuances des fils de soie et de l’application savante de quelques points de broderie dont les passés plat et empiétant, les plus couramment utilisés
Une science et une maestria absolument remarquables ne laissant donc que peu de place à l’imagination et à la fantaisie créative de la brodeuse
Mme Lee excelle dans les reproductions des canons traditionnels de la culture chinoise, sujets floraux et animaux auxquels est attachée une symbolique de bon augure, prospérité, longue vie, chance et bonheur
Mme Lee enseigne son art de la broderie à des Occidentales et à des Nord-Américaines chez qui les représentations traditionnelles chinoises un rien trop « exotiques » laissent la place à des sujets nettement plus consensuels comme les animaux domestiques n’échappant pas de ce fait à un certain kitsch assumé
Dans cette exposition, un autre style de broderie recouvrait littéralement de ses motifs chamarrés une tenue de mariée originaire du sud de la Chine qui pourrait être qualifiée de baroque !
De tels ouvrages, brodés de figures en relief de phénix et de dragon attributs d’un couple parfaitement assorti, réalisées avec une foisonnante minutie, étaient commandés à des ateliers réputés, le luxe des fils d’or et d’argent véritables utilisés pour la broderie prouvent assez que la destinataire d’un tel travail était issue d’une famille fortunée
Les luxueuses broderies Zardozi des ateliers de la famille Shams, perpétuant un art venu de Perse, se placent dans la grande tradition décorative, depuis le XVIe siècle, des costumes de Cour et de l’ameublement des fastueux palais des potentats de l’Inde moghole
La véritable beauté en Inde ne se conçoit que saturée d’ornements, d’imbrications d’éléments décoratifs ne laissant aucune place au vide, les broderies Zardozi sont bien représentatives de cet art surchargé !
Ces broderies Zardozi sont exécutées dans les régions de Calcutta et de Delhi entre autres, par des hommes de culture musulmane, exempts par conséquent de représentations humaines, les motifs de fleurs et d’animaux sont déclinés dans les couleurs éclatantes de pierres précieuses que les fonds de velours sombre mettent en valeur
Les reliefs caractérisant ces broderies Zardozi « en 3 D » sont obtenus par des couches successives de points réalisés aux fils de coton recouvertes au final par des fils de soie, des fils de cannetille en cuivre laqués dorés et argentés enserrant des inclusions de perles et de pierres de couleur
Les tapis, éléments indispensables des palais indiens, revus en tapisseries miniatures et autres objets de décoration recouverts de broderies éclatantes aux teintes lumineuses d’émaux multicolores, présentés tel des joyaux dans des alcôves sombres de l’exposition, transportaient les visiteurs dans les légendes orientales au pays de Golconde ou dans l’Inde fantasmée des Maharadjas
Ces broderies extraordinaires abordent souvent les frontières où le kitsch devient absolument réjouissant surtout quand les brodeurs s’attaquent à la Tour Eiffel et autres lieux emblématiques de la culture européenne !
Les ateliers de la famille Shams gardent une réputation d’excellence…mais ne communiquent pas sur la main d’œuvre employée, comme ces brodeurs fournissant la Haute Couture parisienne par exemple, dont les conditions de vie ne sont pas particulièrement privilégiées
L’Inde des XVIIe et XVIIIe siècles avec ses panneaux imprimés à la planche fournissait une facette plus sobre de l’industrie textile de ce pays
Importées de la côte de Coromandel au Sud-Est du pays, par les routes maritimes des Compagnies des Indes, les Kalamkari, étoffes colorées peintes à la main (mais absentes de l’exposition malgré l’intitulé) et les « toiles peintes » imprimées à la planche ou au cadre, suscitèrent un engouement extraordinaire pendant des décennies dans toutes les classes aisées des sociétés d’Europe occidentale
Les Palempore, litt. qui couvre le lit, chintz ou indiennes avec le motif si particulier de l’Arbre de vie, furent utilisés dans l’ameublement des demeures cossues comme dessus de lit, tentures et rideaux
Véritables nouveautés en Europe, ces toiles peintes, pièces de coton imprimées dans des coloris frais et vifs, supportant le lavage, furent aussi reconverties pour l’habillement dans l’aristocratie et la bourgeoisie, robes de chambre pour les hommes, robes de dessus des toilettes féminines et divers accessoires vestimentaires
Quelques Chapan, terme générique pour les caftans (en principes caftans matelassés, annoncés mais absents aussi dans l’exposition !) venus d’Ouzbékistan, affichaient le côté Caravansérail indispensable au thème oriental de l’exposition
Les caftans pour femmes en soie tissés en ikat sont très représentatifs des vêtements traditionnels ouzbek du XXe siècle
Les motifs d’ikat sur ces caftans reflètent les influences des textiles indiens avec les grands motifs de Boteh, tissés avec ikat sur chaîne en trois ou cinq couleurs, ils sont bordés de galons tissés et rapportés, les doublures en coton imprimé viennent des usines textiles installées en Ouzbékistan par les Soviétiques
Les textiles des minorités chinoises fermeront cette série d’articles
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Paris – Salon l’Aiguille en fête – 2015 :
I – Le Salon
II – Expositions « Au fil de l’Orient » – Les kimonos d’enfants
III – Expositions « Au fil de l’Orient » Les Pojagi de Corée
IV – Expositions « Au fil de l’Orient » Broderies de la Chine et de l’Inde
V – Expositions « Au fil de l’Orient » – Des minorités chinoises aux Ouzbek