Salon « Pour l’amour du fil » 2013 – Exposition de Boro

Voyage à Nantes – Salon « Pour l’amour du fil »- Avril 2013

Voyage à Nantes – autres articles : 2013 : 1 | 2 | 3 | 4 | 2009 | 2011

L’exposition sur les Boro a laissé beaucoup de visiteuses assez interloquées, il est vrai que dans un Salon où l’on vient surtout pour trouver de quoi embellir son quotidien, une telle exhibition en guise d’alibi culturel avait de quoi déconcerter

130424_159 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Exposition bleu-indigo de Boro

Au Japon le mot Boro désigne des chiffons faits de textiles usés et par extension, maintenant dans le monde de l’art, les vêtements récupérés en lambeaux

J’ai déjà évoqué les textiles anciens du nord du Japon au moment d’une belle exposition dans ce même salon en 2011(ici)

130424_136 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Kimono (avec sa doublure) d’adolescent pas encore à l’état de Boro !

Les pièces exposées à Nantes venaient d’une collection particulière, celle d’un peintre japonais Nukata Kosaku qui les collectionne pour la beauté intemporelle qu’il décèle dans ces guenilles

130424_081 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Collection particulièrement « artistique »

Ces textiles en lambeaux sont activement recherchés dans la région d’Aomori, là où quelques populations rurales les ont encore conservés, l’épargne paysanne n’ayant pas l’habitude de jeter ce qui peut encore servir

130424_149 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Grand Furoshiki au ton ocre, teint au jus de Kaki, parmi tous les bleus indigo

Les habitants de l’extrême nord du Tôhoku, là où se situe la préfecture d’Aomori, ont toujours été dédaigné par le reste de la population du Japon qui ne voyait en eux que des paysans mal dégrossis aux mœurs triviales et au curieux dialecte incompréhensible

130424_122 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Mosaïque de textiles divers

De nos jours, les préjugés n’ont pas totalement disparu et un Japonais de Tokyo ou un autre résidant en France, étonné, vous considèrera avec curiosité quand vous dites que vous venez d’Aomori ! Renouvelant sans le savoir le « Comment peut-on être Persan » !

130424_154

Au sol, grand Furoshiki (baluchon) faits de textiles assemblés encore en bon état

La découverte de ces guenilles qui ne pouvaient venir que de cette région déshéritée renforce le sentiment pénible des habitants d’Aomori d’être toujours pris pour des rustres arriérés, alors que beaucoup d’entre eux sont fiers d’être les descendants de farouches peuples autochtones ayant longtemps résisté aux conquérants venus du sud

La plus grande fête d’Aomori, le Nebuta (ici) qui se déroule au mois d’août est, depuis peu, connue ailleurs que dans sa région d’origine mais on a cru bon d’édulcorer sa raison d’être et ses turbulences afin de ne pas effaroucher les populations plus policées

Cette région était pauvre, tout comme l’étaient les campagnes rurales dans le reste du Japon, pareil en cela à de nombreuses régions paysannes dans le monde jusqu’au milieu du XXe siècle

130424_145 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Textiles ré-assemblés pour un grand tablier

Le nord du Tôhoku, où les longs et rudes hivers sont particulièrement neigeux, était une région aux moyens de communication difficiles et ce jusqu’à la fin du XIXe siècle avant que la construction de lignes de chemins de fer viennent désenclaver la province

Le climat trop froid ne permettait pas la culture du coton, seuls le chanvre et autres fibres libériennes étaient exploités afin de confectionner les textiles protecteurs indispensables

130424_139 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Hanten – Veste en chanvre dont les bords ont été assemblés avec des bandes de coton indigo

Le chanvre ne protégeant que modérément du froid, les habitants récupéraient toutes sortes de textiles que les colporteurs transbahutaient de régions en régions …

…Ainsi des morceaux de kimonos de coton, venant de régions plus favorisées dont les paysannes se servaient pour renforcer leurs vêtements, étaient très appréciés et réutilisés jusqu’à l’usure presque totale

Vivre depuis plusieurs générations dans une économie de pénurie incite à ne rien jeter, les tissus pouvant toujours servir étaient gardés dans le but de finir en chiffons d’où le nom approprié de Boro

130424_123 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Matelassage et reprisage soignés

Mais ce genre d’expositions et les articles les commentant laissent croire que tous les habitants de la région d’Aomori étaient réduits à l’état de miséreux, en réalité seule une frange de la population était si démunie qu’elle ne pouvait en effet se vêtir de façon correcte et était obligée de ravauder sans fin les pauvres vêtements récupérés

Les ancêtres de mon mari, originaires d’Aomori, sont représentatifs des habitants de la région, sans être misérables, ils partageaient le lot commun de la pauvreté mais jamais on n’a porté, dans la famille même élargie, ce genre de guenilles !

130424_125 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Noren – Rideau de porte cousu sur l’envers, utilisé comme baluchon ?
Imprimé du Kanji (idéogramme) Matsuri, la fête

Par contre, des photos du début du XXe siècle, vues chez un antiquaire à Aomori, montrent des mendiants vêtus de ces haillons

130424_167 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Kimonos d’adolescents ayant perdu leurs doublures

Dans ma famille à Aomori, les vêtements élimés finissaient en tenues de travail puis en chiffons qui servaient à protéger les objets remisés au dehors ou encore à éponger la neige ou la pluie sur les bottes dans l’entrée de la maison

130424_144 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Monpe – Détail d’un pantalon de travail cousu à la machine avec du fil acrylique et consolidé avec des fils ayant pris la couleur indigo du tissu

J’ai d’ailleurs réussi à récupérer ainsi de vieux tissus destinés à finir en chiffons que je recycle maintenant dans mes quilts !

130424_132 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Katazome – Étoffe imprimée au pochoir, si rare maintenant

Si quelques peintres japonais sont à l’origine de la « redécouverte » et de l’exposition de ces textiles considérés comme des modèles d’art instinctif, spontané, dénué d’artifice, quelques marchands d’art, flairant le bon filon, ont incité leurs clients à collectionner des Boro

Mais, hélas, la demande dépassant largement l’offre, même en écumant toute la région, les hardes sont de plus en plus difficiles à trouver…alors les prix grimpent jusqu’à atteindre des sommes vertigineuses aussi bien au Japon qu’aux USA

130424_121 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Sashiko sur des tissus en (vrai ?) indigo

Les enfants gâtés de l’Oncle Sam déboursent plus de 200 dollars pour exhiber un tour de cou très chic en vieux Boro garantis authentiques !

Des stylistes à la mode n’hésitent plus à déchiqueter des vêtements neufs pour les raccommoder à grands points, c’est devenu le style Boro, semblable par l’esprit à l’engouement des jeunes crétins pour des jeans ou des blousons vendus déjà déchirés chargés de les déguiser en rebelles !

130424_120 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Points d’étude de Sashiko quelque peu maladroits sur (vrai) indigo ?

J’avoue mon scepticisme quant à la quantité de Boro retrouvés… en observant attentivement les pièces exposées, j’ai vu des fils un peu trop récents, bien blancs alors que l’indigo du vêtement teinte naturellement les fils, des raccommodages suspects, des coutures frustes et malhabiles pour faire ancien …

130424_134 Voyage à Nantes - Salon "Pour l'amour du fil"- Avril 2013 - Collection japonaise de "Boro"

Chiffon servant habituellement aux petites filles  pour les exercices de points de sashiko

…je soupçonne des assemblages de récupérations de chiffons pour obtenir des semblants de kimonos qui bien sûr y gagneront une toute autre valeur marchande

Quelques Boro dans cet article aussi
————————
Voyage à Nantes – autres articles :

Salon « Pour l’amour du fil » – Avril 2013
Salon « Pour l’amour du fil » – Avril 2013 – Collection japonaise de  Boro
Salon « Pour l’amour du fil » – Avril 2013 – Tissus japonais « Shijira »
Printemps 2013 – Suite et fin


Exposition « Pour l’amour du fil » – 2009
« Pour l’amour du fil » – 2011