Balade d’automne dans le Vexin
L’abbaye de Royaumont, monument situé dans le Val d’Oise, proche de Paris, se découvre avec bonheur dans un écrin d’eau et de verdure qui accentue le charme un peu languissant de ces insignes vestiges historiques
L’abbaye royale de Royaumont, fondée au début du XIIIe siècle par la volonté de Saint Louis, fut construite selon la règle de Citeaux, qui prônait une stricte simplicité de l’architecture exempte d’ornementations considérées comme trop ostentatoires
Ce monastère cistercien cher à Saint Louis et doté par lui de bénéfices importants accrus au fil des temps, servant aussi de nécropole pour les enfants du roi, connut bien des vicissitudes et subit nombres de transformations au cours de son histoire
Du monastère florissant pendant l’époque médiévale, il ne subsiste que quelques bâtiments fortement remaniés au fil des temps et même reconstruits dans un style gothique qui doit tout à la fin du XIXe siècle
Le déclin de l’abbaye amorcée à l’époque classique se poursuivit pendant la Révolution, pour devenir un site industriel textile, les bâtiments abritant successivement une filature de coton, puis une manufacture de tissage et enfin une usine d’impressions sur étoffes
La destruction de la grande église abbatiale en 1792 permit, avec les pierres récupérées, d’édifier les maisons pour les ouvriers de l’usine textile !
Un pan de l’édifice, une partie d’une tourelle de l’escalier du transept qui permettait d’accéder à la galerie du triforium et aux combles de l’église échappa curieusement à la démolition, restée debout, isolée au milieu des tronçons de colonnes, elle nous a irrésistiblement fait penser à un crayon géant !
Le plan de l’église abbatiale est restitué au sol avec des fragments de colonnes indiquant les dimensions de l’édifice original, les chapiteaux préservés, au décor végétal stylisé, sont empreints de la sobriété du gothique cistercien
La société bourgeoise du XIXe siècle qui avait une prédilection pour les ruines romantiques venait se divertir dans les bâtiments de l’abbaye reconvertis en résidence mondaine, le mélange des genres, occupations industrielles au milieu de vestiges médiévaux devait plaire pour le charme de l’imprévu !
Les Cisterciens s’établissant à Royaumont dans un environnement marécageux durent l’assécher, maîtrisant l’énergie hydraulique ils apportèrent l’eau nécessaire à la vie monastique en canalisant deux rivières entourant le site
Une grande communauté de moines avait nécessairement besoin de latrines, le bâtiment dit des latrines était traversé par un canal sur toute sa longueur qui permettait aussi d’évacuer les eaux usées des cuisines
Quand l’abbaye fut transformée une filature au début du XIXe siècle, le bâtiment abrita une grande roue hydraulique, une autre roue toujours en place servait à remonter l’eau d’un puits
L’ancienne sacristie, utilisée auparavant pour ranger les vêtements et les objets liturgiques, abrite une petite statuaire de provenances diverses
Plus que de grandes représentations à l’esthétique maîtrisée, des figures religieuses candides…
… reflètent à la perfection l’expression d’une foi populaire, telle qu’elle s’est exercée bien au-delà des siècles médiévaux
Un sculpteur inspiré a su rendre, en œuvrant sur deux statues rescapées vraisemblablement d’une Piéta, les expressions d’une douleur pleine de dignité
Les cuisines de l’abbaye ont été plusieurs fois remaniées, l’architecture aux quatre colonnes massives supportant les voûtes, en est sobre mais doit beaucoup à la reconstruction du XIXe siècle
Les cuisines communiquaient avec le réfectoire par un guichet où les moines venaient chercher les plats, la grande salle divisée en deux nefs a été occupée pendant des décennies par les activités liées au site industriel, ateliers d’outillage pour la filature de coton, fourneaux, séchoirs et même une forge !
A la fin du XIXe siècle, le monument de nouveau consacré à la vie religieuse a été restauré, les parties détruites ont été reconstruites, les voûtes remises à neuf, l’architecture typique de l’ordre cistercien a retrouvé son élégance première à l’exception des grandes baies garnies de vitraux percées dans les murs pour laisser pénétrer la lumière
Suite aux recherches archéologiques récentes, les sols ont retrouvé leur dallage refait à l’identique de manière artisanale…
…et la chaire du lecteur qui animait les repas des moines par des lectures pieuses a retrouvé sa place bien que sa décoration doive plus au style troubadour qu’au pur gothique cistercien !
Une très belle Vierge allaitant l’Enfant dite « Vierge de Royaumont » installée dans une niche des cuisines, témoigne de la qualité et du style aristocratique de la statuaire du XIVe siècle en Ile de France
Marie couronnée porte un long et ample voile-manteau enveloppant dont le drapé oblique vient rejoindre les plis droits de la robe s’épanouissant au sol, la silhouette élégante, élargie au niveau des hanches par les deux pans retombants du voile, caractérise les sculptures des ateliers parisiens
Le visage serein de la Vierge, le geste calme retenant le lange de l’enfant à la vive attitude, la relation pleine de tendresse entre la mère et son fils soulignent, à cette époque, une recherche nouvelle dans la représentation naturaliste de la figure humaine et des émotions qui l’animent
Une tapisserie qui a conservé des coloris assez éclatants malgré le passage du temps, illustre la gloire de la Vierge dans l’orthodoxie du temps, célébrée comme « Reine du ciel » elle est accompagnée par les trois Vertus théologales
Les somptueux vêtements et le soin accordé aux parures des figures allégoriques ne diffèrent guère des personnages des tapisseries illustrant la vie seigneuriale des cours princières de l’époque
Le mur du réfectoire abrite un mausolée rescapé de la destruction de l’église abbatiale, beau morceau de sculpture baroque à la française par un artiste habitué aux pompes versaillaises
La représentation emphatique du héros sensé avoir expiré sur le champ de bataille est bien trompeuse car, 47 ans avant la réalisation de l’ambitieux monument, le général était mort d’apoplexie tranquillement dans sa demeure située alors au sein de l’abbaye !
Le domaine de Royaumont est une fondation qui loue ses espaces pour toutes sortes de manifestations culturelles, c’est sans doute à ce titre que le jour de notre visite, une équipe pléthorique de techniciens de l’audiovisuel branché enregistrait une séquence des « Guignols de l’info » mettant en scène le pape dans une situation sensée être hilarante
Il était nécessaire évidemment d’avoir une toile de fond monacale pour enregistrer à maintes reprises cinq secondes de dérision !
L’abbaye se déploie autour d’un cloitre lui aussi restauré sinon reconstruit…Ce sera l’objet du prochain article…