Cathédrale Saint-Denis – Nécropole des rois de France

Par une glaciale après-midi de mi-mai, à un quart d’heure de chez moi, visite avec les enfants de la cathédrale de Saint-Denis

Les tympans de cette vénérable cathédrale demandent un sérieux lifting !

L’abbaye, devenue cathédrale, berceau de l’art gothique au XIIe siècle, a été l’une des première en France à mettre en pratique le style nouveau de la voûte sur croisée d’ogives pour alléger la structure de l’édifice et à se doter de trois portails monumentaux surmontés de la première rose de vitraux…

La façade de l’abbatiale de Saint-Denis et sa division tripartite

…mais surtout à remplacer ses murs porteurs de vieil édifice carolingien par de grandes verrières multicolores

Le déambulatoire et ses voûtes sur croisée d’ogives, construction primitive du XIIe siècle

L’abbaye, proche de Paris, a jouit d’un grand prestige pendant des siècles auprès de la royauté, mais dès avant le pillage de la Révolution qui mis à sac son trésor, le plus important de la chrétienté, et renversa ses tombeaux, elle sombrait déjà dans un déclin avec d’importantes et successives dégradations

La nef et le choeur du style gothique rayonnant du XIIIe siècle

L’édifice actuel est un exemple parfait des restaurations de l’architecte du XIXe siècle Viollet Le Duc, le sauveur (contesté par beaucoup d’historiens) de nombreux monuments légués par le Moyen Age, mais qui, sans lui, seraient disparus à jamais

Suger présentant un vitrail – Restauration du XIXe siècle

Des nouveautés que le moine Suger, abbé tout puissant et régent du royaume au XIIe siècle entreprit dans son église, il ne reste que quelques vitraux des grandes verrières du déambulatoire qui firent de l’abbaye un « vaisseau de lumière » éblouissant la Cour de son temps…

La Nativité – Vitrail du XIIe siècle

…Et un dallage ancien retrouvé dans une chapelle

Des motifs bien familiers !

Les rois, durant des siècles, choisirent de s’y faire inhumer, auprès des reliques de Saint-Denis et du tombeau de Dagobert, fondateur mythique de la royauté et de transformer ainsi les sépultures des familles régnantes en galerie sculptée des ancêtres

Les tombeaux avec effigies offrent une grande diversité de styles et on peut y faire une étude approfondie de la sculpture gothique funéraire en Ile de France du XIIe au XVIe siècle
Beaucoup de tombeaux sculptés seulement au XIIIe siècle représentent de façon anachronique les ancêtres de la lignée royale

Gisant en pierre de Childebert II, fils de Clovis – XIIe siècle

Les gisants les plus anciens sont sculptés en bas-relief dans une dalle de pierre, ainsi Childebert enveloppé dans un manteau au plissé assez fruste…

Gisant en pierre de Clovis – XIIIe siècle

…Tandis qu’un siècle plus tard, le haut-relief devient la norme, avec détails réalistes, ceinture, fibule sans oublier la bourse …

Gisant de Clovis

…Ou les gants, synonyme de noblesse et de pouvoir, les mains gantées ne travaillent pas !

Gisant de Léon VI de Lusignan, dernier roi d’Arménie

Succédant à la pierre le marbre plus luxueux se généralise, les figures bien que conçues pour être couchées sont en fait sculptées…debout !

Rois et reine du XIVe siècle

Généralement les rois et reines sont représentés de façon stéréotypée,  jeunesse intemporelle, les yeux grands ouverts, attitude paisible et noble, vêtus d’amples robes et manteaux tombant en plis souples, munis des symboles de la royauté, sceptre et couronne (souvent disparus pour cause de lèse-atteinte à la souveraineté du peuple en 1793! )

Gisant de Robert II d’Artois

Des personnages apparentés à la famille royale, sont souvent représentés en arme, vêtus d’une côte de maille et arborant un écu fleurdelysé, rien ne manque à l’héroïque et preux chevalier

Gisants de Charles V et de Jeanne de Bourbon par André Beauneveu

Pourtant quelques figures se distinguent comme ceux de Charles V et de sa reine, en marbre blanc sur une dalle de marbre noir, luxe nouveau au XIVe siècle, véritables portraits officiels, chefs-d’œuvre de la sculpture médiévale…

Jeanne de Bourbon – Nez retroussé, sourire fin et spirituel

…Portrait d’un souverain lettré, diplomate et pacificateur, collectionneur de manuscrits à l’origine de la première bibliothèque installée au Louvre

Des figures de femmes d’une beauté souveraine et aristocratique dont le nom est oublié…

Faveur exceptionnelle, en dérogation aux seuls personnages régnants, les rois commandent les tombeaux de leurs chefs d’armée, grâce auxquels, pendant les troubles de la Guerre de Cent ans, ils ont pu sauvegarder leur royaume face aux Anglais

Le sculpteur a bien caractérisé la physionomie du légendaire Bertrand Dugesclin, petit breton opiniâtre à la tête ronde et au grand front volontaire…

Gisant de Bertrand Dugesclin, connétable de Charles V

…Ainsi que celle du foudre de guerre, le connétable Louis de Sancerre, au menton impérieux et à la coiffure caractéristique de la mode de son temps

Gisant de Louis de Sancerre, connétable de Charles VI

Au Moyen Age les animaux sont dotés de vertus symboliques, la noblesse et la force au lion, la fidélité au chien…

Lion aux pieds de Robert II d’Artois

….Les pieds des gisants reposent sur de tels symboles, tantôt de fières et nobles bêtes…

Lion aux pieds de Philippe IV le Bel

…tantôt des lions qui se font passer pour des agneaux !

Symbole de la fidélité conjugale

Les références à la vie spirituelle ne sont jamais oubliées…même aux pieds des gisants

Clercs lisant et commentant la parole divine

Au XVIe siècle, la mort se fait plus somptueuse, elle s’affiche dans des tombeaux monumentaux, l’influence de l’art italien répandue en France à la suite des guerres de conquêtes menées par Charles VIII, Louis XII et François Ier et la redécouverte de l’Antiquité y sont manifestes

Tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne

Les trois grands tombeaux de Saint-Denis présente la même iconographie, le couple royal revêtus de vêtements somptueux en orants sur la plate-forme et à l’étage inférieur en transis, nus et figés dans une position cadavérique

Les corps de Louis XII et d’Anne de Bretagne sont d’un réalisme saisissant !

Le tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne est l’œuvre d’artistes d’origine italienne dont le nom francisé, les Juste s’étend à toute une famille de sculpteurs travaillant en France

Le monument en forme de petit temple renaissant en marbre de Carrare s’inspire du style florentin classique

Les Apôtres assis sur le pourtour du monument et les Vertus aux quatre coins ont des attitudes et des gestes affectés reflets de la nouvelle sensibilité venue d’Italie

La Prudence, son serpent…

Les majestueuses Vertus Cardinales, hélas bien graffitées par des générations de crétins voulant laisser les traces de leur insignifiance…

…Et son miroir

…Manière de s’approprier une esthétique qui les dépasse !

D’ailleurs la séduction ambiguë de ces figures fait toujours fantasmer quelques visiteurs aux mains caressantes !

La Tempérance, Vertu au sourire énigmatique

Le tombeau de François Ier et de Claude de France, commandé par leur fils Henri II pour affirmer que la nouvelle lignée royale s’inscrit dans la continuité

La volonté de se démarquer du style médiéval est manifeste dans le choix d’un Arc de Triomphe à l’antique

Le sculpteur choisi, Pierre Bontemps travaillait communément pour la Cour dans un style fortement influencé aussi par l’art italien

Tombeau de François Ier et de Claude de France

Les bas-reliefs du soubassement mettent en scène la bataille de Marignan et l’héroïsme de François le Roi Chevalier

Bas-reliefs de Pierre Bontemps

Les médaillons sur l’urne à l’antique du cœur du roi célèbrent le rôle de protecteur des arts de François Ier

Les figures féminines pleines de sensualité et de délicatesse sont très inspirées du style maniériste de l’école de Fontainebleau

Le triomphe de la musique – Pierre Bontemps

L’ultime chaînon d’une longue tradition sera le tombeau dans le goût italien aux somptueux marbres blanc et noir d’Henri II et de Catherine de Médicis

Là aussi le sculpteur le plus important du règne œuvrera sur commande de la reine après la mort tragique d’Henri II dans un tournoi

Tombeau de Henri II et Catherine de Médicis

Germain Pilon, dont l’œuvre unit la sculpture médiévale française à l’influence décisive de l’art de l’Italie maniériste sculptera le couple royal en orants et en transis de façon toutefois moins réaliste que ses prédécesseurs, son style puissant mais élégiaque plaisant fort à l’aristocratie de la Cour

Henri II et Catherine de Médicis en orants

Le style des Vertus cardinales en bronze est là aussi fortement influencées par le maniérisme, corps élancés, longs cous, déhanchements dans le goût du Primatice et des Italiens appelés en France pour décorer le palais de Fontainebleau

L’élégance et la grâce des figures de Germain Pilon influenceront le style des sculpteurs à venir

Catherine de Médicis commandera plusieurs œuvres à son sculpteur favori, notamment des gisants en marbre que Germain Pilon représentera en habits de sacre, avec une minutie de détails vraiment remarquables plus conformes en cela à la tradition française médiévale

Gisants d’Henri II et Catherine de Médicis par Germain Pilon

La crypte de la cathédrale abrite un ossuaire et des cénotaphes, tous datant du retour au pouvoir de la vieille monarchie dans la première moitié du XIXe siècle, le tout dans divers styles anachroniques, d’un goût emphatique et pompeux, oblitération des désordres révolutionnaires et exaltation de la gloire passée et quelque peu ternie des Bourbons

Plutôt ravissants puttis qu’anges de la mort sur le cénotaphe de Charles IX – XVIe siècle

Il faisait un froid glacial ce jour de mai dans la cathédrale, notre humeur allait se dégradant au vu de toutes ces représentations funèbres, même si l’histoire de l’art nous passionne, nous avons quittés cette atmosphère mélancolique et sépulcrale avec une sorte de soulagement libératoire