Paris – Maison de la Culture du Japon – II –
Les artisans qui tissaient les kimonos luxueux avec la seule soie grège pour les classes dirigeantes du Japon ancien, gardaient pour leur usage personnel la soie de deuxième qualité afin de confectionner des kimonos en pongé de soie, les kimonos Tsumugi, qui devinrent peu à peu très prisés dans toutes les classes de la société
Shimura Fukumi a commencé son travail artistique comme tisserande afin de poursuivre la tradition du tissage artisanal dans l’esprit du mouvement Mingei, devenu après la guerre, le manifeste d’une véritable culture populaire
Mais c’est par l’usage des teintures élaborées par elle-même avec des pigments tirés des végétaux, qu’elle s’est démarquée de tant d’autres artisans tisserands de son époque
Les couleurs servent à l’expression de l’artiste qui ne prépare jamais un plan préconçu avant de commencer le tissage, les motifs et les graduations de teintes s’imposent au fur et à mesure de son travail suivant ses pensées ou ses idées du moment
L’esthétique du vêtement ancrée dans la tradition japonaise lui sert de cadre pour son travail même si quelquefois l’exigence à perpétuer un certain esprit mémoriel pose des doutes dans un monde contemporain au mode de vie si différent d’un passé pourtant pas si éloigné
La créativité contemporaine de Mme Shimura évolue donc entre l’héritage du passé qui marque sa propre identité et l’innovation s’appuyant sur la riche tradition des textiles au Japon
Shimura Fukumi pratique un art dit décoratif qui, utilisant diverses matières et techniques, pour une tisserande les fils et leur disposition sur un métier, n’est plus considéré dans notre monde contemporain, comme relevant du « grand Art » communément admis…
…Pourtant, affirme Mme Shimura, les couleurs et les motifs peuvent, en transcendant les contraintes techniques, concrétiser parfaitement les représentations et les images mentales propres aux artistes
Évoquer ses connaissances du monde, des souvenirs, des émotions surgissant à tout moment, et les projeter dans la création d’étoffes est une tâche exigeante, les noms donnés volontairement à chacune de ses créations leur assure une singularité et un caractère propre
Dès le début de la civilisation japonaise, l’esthétique des couleurs se trouva associée aux sentiments humains, cette spiritualité s’épanouit dans la littérature et surtout dans la poésie classique
Comme beaucoup d’artistes-artisans, Mme Shimura en véritable créatrice lettrée, elle est d’ailleurs essayiste, insuffle dans ses tissages nombre de références littéraires et poétiques
Situé au Nord-Est de Kyôto, le lac Biwa, le plus grand lac du Japon, a depuis les temps les plus anciens, été célébré par les poètes et les artistes et reste le thème de prédilection de Mme Shimura dont l’atelier se situe dans une campagne proche de Kyôto
Elle peut faire des promenades autour du lac qui lui offre toujours des paysages aux aspects enchanteurs et surprenants dont elle tisse les émotions ressentis dans la trame de ses étoffes
Les deux tisserandes voyagent aussi à travers le monde à la recherche des spiritualités ayant engendré des traditions textiles, l’Inde et le Moyen-Orient demeurent des sources d’inspiration continue
Les kimonos Tsumugi sont uniquement tissés avec des fils déjà colorés, contrairement aux autres kimonos tissés en fils blancs ou naturels qui seront teints ensuite pour recevoir un décor peint à la main ou au pochoir rehaussé de broderies éventuelles
Les deux artistes s’adonnent aussi en toute liberté à la technique du Kasuri (ikat) avec des fils teints partiellement au préalable selon le dessein recherché
Les tisserandes créent des lés d’étoffes pour kimono, et même si elles ne les cousent pas (je suppose qu’un atelier de couture s’en charge) leur travail prend toujours en compte, pendant le tissage, les décors placés sur le vêtement définitif
Le décalage des motifs souvent observé des deux parties du dos résulte de la couture d’assemblage des parties tissées pour confectionner le kimono
Les kimonos au Japon ne sont pas toujours destinés à être portés, ils servent aux créateurs de support sur lequel leur art peut se déployer, remplaçant « la toile » si familière aux Occidentaux
Mais Mmes Shimura mère et fille s’habillent avec les œuvres qu’elles tissent, la sobriété de leurs tenues renforce la noblesse de leurs attitudes
Exempte de chronologie, l’exposition affichait idéalement les kimonos des deux artistes côte à côte
Il était difficile de départager les kimonos de la mère de ceux de la fille tant leurs œuvres vibraient en écho, Shimura Yôko se révèle peut être un peu plus audacieuse dans l’emploi des couleurs et dans les références revendiquées à l’art occidental
Pendant la durée de l’exposition, des kimonos et des panneaux tissés ont été remplacés par d’autres œuvres, mes photos ne reflètent donc que ma visite des derniers jours
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Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon :
1ère partie – La couleur
2ème partie – Les kimonos Tsumugi
3ème partie et fin !