Musée historique de la préfecture d’Aomori
Musée historique de la préfecture d’Aomori
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Les textiles des sociétés paysannes, véritables créations artisanales, sont des vêtements humbles, de formes simples adaptées au travail journalier
Ils sont loin de la sophistication des kimonos des classes aisées dont la somptuosité des soies rehaussées d’or et d’argent et de broderies laisse dans l’ombre tout un pan de la culture textile japonaise
Il est vrai que bien peu de vêtements populaires, en raison de leur utilisation intensive, sont parvenus en bon état jusqu’à nous
Ces vêtements de la vie quotidienne créés pour s’adapter aux travaux saisonniers des agriculteurs et des pêcheurs étaient généralement confectionnés à la maison par les femmes au début du printemps, avant que ne revienne la saison des travaux aux champs
Afin d’acquérir les produits indispensables à la couture, les sociétés rurales attendaient avec impatience la venue des colporteurs qui transportaient leur marchandise sur le dos, de village en village
Mais l’arrivée des colporteurs était surtout espérée pour les nouvelles qu’ils diffusaient à chaque étape !
La tradition de leur donner l’hospitalité chaque nuit dans des maisons différentes, devait leur attirer un auditoire attentif et avide d’obtenir des informations sur des membres de la famille éloignés ou sur les histoires et rumeurs courant dans la région !
Le colporteur proposait un choix de fournitures intéressant les villageoises, en plus du fil et des aiguilles, objets de première nécessité, il vendait des peignes et de l’huile parfumée pour les cheveux, des bougies mais aussi, denrée précieuse entre toutes, du sucre !
Les sociétés paysannes du nord du Tôhoku ne disposaient pas de coton, le climat trop rude de la région n’en permettant pas la culture et les communications avec le sud du pays, producteur de coton, ont été pendant longtemps quasi inexistantes
Les fibres libériennes comme l’ortie, la ramie et principalement le chanvre étaient donc utilisées majoritairement pour la confection des vêtements de travail
Le mot « Asa » mot unique en japonais pour désigner toutes les fibres libériennes est traduit systématiquement par « lin » alors que cette fibre n’a fait son apparition au Japon qu’à l’extrême fin du XIXe siècle et n’a jamais été utilisée pour les vêtements du monde paysan
Le travail pour obtenir, à partir de chanvre sauvage ou de la plante cultivée, une matière propre à être utilisée, était long et pénible
Il était nécessaire de rouir, pendant un certain temps, les tiges de la plante dans de l’eau pure pour en détacher les fibres qui, une fois séparées des tiges, devaient être chauffées à la vapeur avant d’être broyées
Les fragments obtenus à partir de ces fibres sont le matériau du fil de chanvre
Ces brins très fins devaient ensuite être tordus en un seul fil qui pouvait alors être tissé
Les étoffes, une fois tissées, étaient plongées dans des bains d’indigo afin de renforcer la solidité du tissu, car les kimonos de travail étaient destinés à faire un long usage
On raconte qu’au printemps, on pouvait entendre dans les villages, devant chaque maison, le cliquetis caractéristique du travail des femmes qui s’activaient sur leur métier à tisser
La classe paysanne contrainte par les lois somptuaires édictées par le gouvernement shôgunal et restées en vigueur jusqu’à la fin du XIXe siècle, n’avait le droit qu’à de rares couleurs, beige, brun et bleu, les motifs et les techniques d’impression restaient très restreintes
Les autorités ne permettant que des vêtements unis ou à rayures et quelques petits motifs floraux, les artisans en développant leurs propres techniques de tissage et de teinture laissaient libre cours à leur créativité pour les Katazome (teintures au pochoir), les Shiborizome (teintures au nouage), les Kasuri (teinture des fils) et une variété étourdissante de rayures verticales combinées en treillis serrés ou espacés, en lignes brisées ou décalées
Le bleu indigo, issu d’une plante courante dans le monde entier mais dont le Japon a su tirer un parti extraordinaire, symbolisait de façon singulière les classes populaires
Ce bleu indigo possède toute une gamme de nuances auxquelles les Japonais donnent des noms particuliers, ces camaïeux de bleus embellissaient avec le temps en se nuançant lavage après lavage
Les variations infinies de l’indigo jouent sur le clair et l’obscur en allant du bleu pâle au bleu presque noir
Les Japonais prêtaient à l’indigo d’innombrables vertus, son odeur caractéristique était censée éloigner les insectes et repousser les serpents, propriétés importantes pour les travailleurs des champs, et son pouvoir prophylactique affirmé n’était pas considéré comme superflu dans un monde où la médecine restait à l’état empirique
Les vêtements confectionnés en chanvre n’étaient pas une protection efficace ni suffisante contre le froid, ils étaient souvent renforcés avec plusieurs épaisseurs de tissus maintenus entre elles par des points de surpiqûre en lignes droites…
…avant que ces coutures utilitaires ne deviennent de véritables broderies élaborées… mais contrairement à ce que l’on prétend tous les vêtements de paysans n’étaient pas systématiquement brodés en Sashiko !
Les vêtements ordinaires teints en indigo recevaient sur les manches, les épaules et le dos, des applications de pièces de tissu afin de renforcer ces endroits plus prompts à l’usure
Ces pièces de renfort étaient d’abord brodées simplement pour les vêtements de travail, puis les broderies bénéficiant de l’arrivée des fils de coton du sud du pays, moins onéreux qu’auparavant, ont gagné en raffinement, elles devinrent une spécificité de la région de Tsugaru
Ces broderies Kogin (ici) si recherchées ne décorèrent plus alors que les vêtements de fête ou de cérémonie
Beaucoup de Kogin anciens étaient brodés sur de petits lés de tissu qui étaient réunis avant d’être appliqués sur les kimonos
Les vêtements populaires, restés dans l’imaginaire des Japonais, renvoient à un monde de dur labeur, de vie humble et soumise, peut être est-ce la raison pour laquelle ces textiles ordinaires sont maintenant trop rarement appréciés à leur juste valeur
Cette série de reportages se conclura avec l’histoire récente de la région d’Aomori …riche encore en anciens textiles !
N B : J’ai reçu de la direction du « Musée historique de la préfecture d’Aomori » toutes les autorisations de photographier et de publier les collections de ce musée pour mon blog
Ces autorisations n’incluent pas les copies qui pourraient en être faites sur d’autres sites ou blog
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Musée historique de la préfecture d’Aomori :
La civilisation Jômon
Arts et traditions populaires
Les textiles du monde rural
Quelques bribes de l’histoire régionale