Au cours de l’histoire de l’Occident, il est plutôt aisé de reconnaître les modes vestimentaires des époques se succédant, distinguer une robe portée au Grand Siècle à Versailles, au siècle des Lumières et sous la IIIe république est plutôt facile
Au Japon, distinguer les kimonos selon les époques en suivant leurs décors est un jeu un peu plus ardu !
Au début de l’époque Edo, les femmes de la classe des guerriers (Buke) et celles des commerçants (Chônin) portaient de précieux Kosode en soie damassée Rinzu, enrichis de broderies ou teints en Kanoko Shibori
La technique de teinture Shibori (Shibori zome) consiste à lier des parties du tissu sur lesquelles est appliquée une colle à base de pâte de riz pour protéger le textile lors de la teinture
La mode était aux Kosode teints au pochoir de petits motifs végétaux naturalistes, à la peinture Kakie à l’encre ou aux pigments de couleur, aux dessins soulignés de broderies
La nature et ses manifestations poétiques restant toujours la source des motifs décoratifs
Au milieu du XVIIe siècle, un nouveau style apparut appelé « Kanbun Kosode »(de l’ère Kanbun 1660-1668) où la teinture Shibori s’accompagne de broderies dans des compositions dynamiques de grande taille s’élançant d’une épaule et de la manche en se déployant en arc de cercle pour finir au bas du vêtement
Ces grands motifs, brillamment colorés, d’une nouvelle audace artistique, étaient surtout destinés aux jeunes femmes fortunées
La technique de teinture novatrice de Yûzen zome apparue à la fin du XVIIe siècle, permit la réalisation de dessins plus élaborés, extrêmement détaillés, autorisant une grande liberté d’expression
La teinture Yûzen privilégia comme base le crêpe de soie Chirimen, textile dont le léger relief permettait d’obtenir des dégradés éclatants de couleurs
La beauté décorative si délicate obtenue par cette technique permettant de reproduire des motifs semblables à des œuvres picturales sur tissu sut séduire les femmes de la classe bourgeoise des Chônin
Le tout nouveau pouvoir économique de la classe montante des marchands permettait de posséder de somptueux kimonos aux décors toujours plus élaborés
Ce fut la classe de ces bourgeois citadins, par son désir de posséder de nouveaux kimonos qui stimula une production textile en pleine croissance
Les femmes de l’aristocratie guerrière (Buke) plus conservatrices, préférèrent garder des Kosode classiques en soie damassée Rinzu enrichie de broderies aux décors plus sobres obtenus par Shibori zome
Un siècle plus tard, au milieu du XVIIIe siècle, les femmes de l’aristocratie guerrière affirmèrent leurs sens esthétique en privilégiant des motifs symboliques dissimulés dans des scènes de paysages imaginaires, comme autant d’allusions à leur culture littéraire et poétique
Si la soie damassé Rinzu restait préférée par cette élite sociale, la mode d’orner les Kosode de motifs de calligraphies, parties de poèmes dont le reste du texte est à deviner, affirmait leurs préoccupations de se démarquer, par leur culture, des femmes de la bourgeoisie !
Les motifs calligraphiés soulignent aussi le rapport étroit qui existait entre la décoration des textiles et les autres arts
Signe de l’opulence de la classe de commerçants Chônin, les somptueux costumes de mariage, sur soie Rinzu rouge, couleur associée à la séduction de la jeunesse, se parent de motifs allégoriques de prospérité
Au milieu de l’époque Edo, la culture aristocratique de l’ère Heian (794-1185) se vit idéalisée et les objets et les livres la reflétant furent choisis de façon privilégiée pour orner les vêtements de cérémonie comme symboles de bon augure
Au début du XIXe siècle, apparut un style nouveau de décors dont les motifs se concentrent au bas du vêtement, au-dessus de l’ourlet puis remontent sur les devants jusqu’au col
Les thèmes issus du « Dit du Genji » la plus célèbre œuvre littéraire de Heian, décorent ce Kosode dévoilant la culture classique acquise au fil des temps des femmes Chônin du XIXe siècle aspirant toujours à franchir la barrière qui les séparait des classes aristocratiques supérieures
Au début du XIXe siècle, les femmes de la classe des guerriers (Buke) privilégiaient toujours pour leur Kosode de la soie damassée Rinzu au contraire des femmes de la bourgeoisie restées fidèles au tissu de crêpe de soie Chirimen
Pour des occasions exceptionnelles, les motifs de charrettes de fleurs et de bouquets dispersés sur tout le vêtement dans des coloris éclatants, enrichis de broderies en fils d’or, affichaient le luxe des classes dirigeantes, contournant superbement les lois somptuaires en vigueur à cette époque !
Pendant la chaleur accablante du plein été, les femmes des guerriers de haut rang portaient des Katabira, des Kosode fabriqués en choma, la ramie
Ces Katabira en ramie aux motifs teints en indigo Ai sur des fonds blancs ou jaunes attestent encore, par l’opportunité de porter ce choix de dessins, de la personnalité et de la sensibilité artistique des femmes de l’aristocratie
Le gouvernement de l’ère Edo organisa de façon stricte la hiérarchisation des classes sociales
Sortir de son rang par le biais de l’habillement était réprouvé et des lois somptuaires, furent édictées pour freiner les excès et pour ramener chacun à la place imposée dans la société
Les lois somptuaires sans cesse renouvelées au cours des années prouvent assez qu’elles pouvaient être facilement détournées !
Depuis le XVIIIe siècle, la mode d’orner les vêtements de décors différents dans les parties supérieure et inférieure connut un véritable succès qui se prolongea pendant le siècle suivant
Le décor évoque la fin de la saison estivale où des oiseaux parmi des nuages en haut du vêtement survolent des motifs fleuris situés dans le bas
A la fin de l’époque Edo, les splendides vêtements au luxe tapageur restèrent l’apanage des courtisanes des quartiers réservés et des acteurs du théâtre Kabuki
La mode devint plus discrète avec la notion d’Iki, le chic élégant, de sobres couleurs comme le bleu ou le gris furent privilégiées avec des motifs appliqués seulement au bas du vêtement
Sur le corps du kimono teint en indigo Ai, des zones ont été laissées blanches afin de permettre le vol de petits pluviers au-dessus d’une scène de pêche
Le corps de ce kimono confectionné à l’époque Meiji (1868-1912) est teint sobrement en gris, à l’exception de la partie inférieure conservée blanche afin d’y peindre en Yûzen zome des motifs paysagers semblables à des tableaux et exécutés de façon très réaliste
Les motifs de faucon sur le vêtement,faisant allusion au loisir favori des guerriers pour la chasse, fut sûrement réalisé pour une femme de cette classe sociale
La création de ces somptueux vêtements fut l’œuvre d’un important réseau d’artisans spécialisés en excellence : fileurs, tisseurs, teinturiers, brodeurs, dessinateurs, fabricants de pochoirs, etc…
Loin d’être un phénomène européen, comme on le croit souvent, l’industrie textile de la mode et son exploitation commerciale ont joué un rôle primordial dans la vie économique du Japon à l’époque Edo
L’influence du Kimono sur l’Occident sera l’objet du prochain article … à suivre !