Paris – Musée Guimet – Textiles en indigo
Si les Tsutsugaki éclatants de couleur sont très séduisants, il en existe de plus sobres en blanc sur fond bleu foncé ou encore en jouant sur les nuances de l’indigo dont le dessin détonne par la simplicité, souvent orné d’un Kamon central ou d’un motif au tracé puissant qui occupe tout l’espace de la pièce de tissu
Un grand dessus de futon en Tsutsugaki décoré d’ustensiles pour le Chanoyu, la cérémonie du thé et pour l’Ikebana placés sur l’étoffe de façon quasi aléatoire aura séduit le peintre Léonard Fujita qui le conservait dans son atelier en région parisienne
Les motifs dessinés sur l’étoffe viennent d’un manuel d’éducation féminine du XVIIIe siècle destiné à choisir à bon escient les objets usuels pour la vie quotidienne, les artisans des Tsutsugaki s’inspirant largement des nombreux recueils illustrés de dessins destinés à être recopiés
La technique du Tsutsugaki sur tissus de coton ou de chanvre s’apparente à la teinture Yuzen zome qui ne décore que de luxueux kimonos en soie (ici)
Ce Nagagi, long kimono pour enfant à la composition raffinée et au dessin délicat prête son fond indigo bleu clair aux motifs de fleurs de cerisiers et de grosses pivoines épanouies dans une gamme de teintes assez sophistiquée
Le Kazuki se portait au-dessus de la tête comme un voile afin de dissimuler quelque peu le visage des femmes de l’aristocratie pendant leurs sorties
Paradoxe amusant, ce Kazuki, en fait un kimono, censé ménager la pudeur attirait beaucoup plus l’attention sur celle qui le portait ! La littérature en a d’ailleurs fait un sujet classique de rebondissement
Le décor de ce Kazuki est obtenu avec la technique de Tsutsugaki pour le Kamon formé d’un grand chrysanthème, ainsi que pour le bas du vêtement et à l’aide de pochoir Katazome pour les tout petits chrysanthèmes parsemant la quasi totalité du Kazuki
Les recueils de dessins pour kimonos influençaient les artisans dans le choix des motifs…
…même si ces motifs étaient créés plus spécialement pour les broderies
Les Nobori du verbe Noboru monter ou élever, sont des étendards hissés à l’occasion des fêtes ou offerts aux temples bouddhistes ou aux sanctuaires shinto
Accompagnés d’espèces sonnantes et trébuchantes le clergé se chargeait de remplir la fonction d’attirer la protection, la chance et la prospérité sur les donateurs
Les Nobori de l’exposition sont des Sekku Nobori les bannières qui scandent les fêtes aux changements de saison et plus particulièrement celles que l’on élève pour la fête des garçons
Les motifs illustrant ces bannières symbolisent là encore le courage, la force et la ténacité, images de la réussite
Les décors illustrent les grands thèmes des contes et légendes en mettant en avant le courage, l’abnégation ou la sagesse des personnages mythologiques
Le « Hôjû » joyau offert par l’empereur de Chine destiné au temple du Kôfukiji à Nara, perdu pendant une tempête, était depuis farouchement gardé par un dragon au fond des mers, Tama o tori Hime ou la princesse qui attrape le joyau, une pêcheuse intrépide alla le ravir à son terrible gardien
Les décors peuvent aussi louer la sagesse d’un bon gouvernement en exaltant le rôle de l’empereur Nintoku qui, dans une époque de famine au Ve siècle, se préoccupa, dit-on, de la subsistance du peuple en distribuant les réserves des greniers impériaux…
…et en exemptant ses sujets d’impôts pendant trois ans, la magnanimité du souverain le poussant jusqu’à prolonger cet avantage de trois années supplémentaires
Les références à la piété filiale des antiques légendes chinoises aura aussi beaucoup de succès comme symbole de dévouement et de souhaits de prospérité pour la descendance
Le haut de la bannière prouve que l’histoire se déroule en Chine !
Les bannières de Tango no Sekku, la fête des garçons célèbrent les hauts faits d’armes des nobles guerriers de la cour impériale comme l’histoire de Minamoto no Yorimasa qui d’une seule flèche abattit un démon perché sur le toit du palais qui troublait le sommeil de l’empereur…
…le démon-oiseau perturbateur métamorphosé en un horrible monstre composite à la tête de singe et au corps de tigre sera occis par le sabre d’un valeureux guerrier de la suite du héros
Mais les exploits guerriers laissent quelquefois place aux simples scènes de divertissements
Les Kajibanten, vestes contre l’incendie ou simplement vestes de pompier relevaient de la technique de Tsutsugaki mais les détails étaient souvent peints minutieusement à la main
Une carpe géante qui vivait dans un étang au Hieizan (Mont Hiei au nord de Kyoto) avait la fâcheuse habitude de manger les hommes qui passaient à sa portée, le jeune Saito Oniwakamaru, qui deviendra Benkei le héros légendaire aux multiples exploits (ici) la combattit victorieusement dans un spectaculaire corps à corps
L’image de l’affrontement furieux de l’homme et du démon métamorphosé en poisson, inspirée d’une célèbre estampe, sera reprise maintes fois jusqu’à décorer maintenant les coques de téléphone portable !
Les histoires de Yûrei (fantômes) et d’ Obake humains jouant aux métamorphoses, dont raffolent les Japonais, trouvaient une occasion idéale de se déployer sur de tels vêtements
Ces mêmes motifs étaient privilégiés par les pompiers appartenant à des brigades privées de la classe des guerriers comme tatouages sur les corps, marqueurs de condition qui bravaient les interdits de l’époque Edo
Les Yôkai, êtres surnaturels plus ou moins mauvais se choisissent souvent des avatars animaux, comme une araignée qui se transforme à son tour en une Jorôgumo, belle jeune femme habile à séduire les hommes suffisamment naïfs et à les capturer afin de les dévorer !
Les couches de tissus de coton qui composaient les vestes de pompiers étaient renforcées par le matelassage de petits points de Sashiko alignés sur l’ensemble de l’ouvrage de façon fort méticuleuse, la partie protégeant le visage recevait comme décoration des points en fils blancs
Dans un Japon entièrement construit de bois, les incendies faisaient des ravages périodiquement
Dérisoires protections de l’époque, les pompiers imbibaient d’eau leurs tenues avant d’aller remplir leur devoir de héros !
Les chevaux n’étaient pas oubliés dans le souci de protection avec des étoffes disposées sur la croupe de l’animal, chargées de les protéger contre les insectes elles devaient, de façon magique, faire office de défense contre les forces maléfiques
Les carpes, selon une vieille légende chinoise, ont l’audace de remonter le courant des eaux, pouvant accéder ainsi au rang de dragon céleste, symbolisant le courage et la détermination
On plaçait les chevaux de trait indispensables à la vie des campagnes sous la protection du dieu-singe, les motifs décorant les couvertures des chevaux illustrent les nombreux contes populaires racontant des mésaventures de singes
L’histoire des singes qui s’entraident mutuellement pour pêcher des poulpes au risque d’y laisser la vie est évidemment une parabole sur la solidarité qui devrait régner chez les humains
Des bannière réalisées en Tsutsugaki ou simplement imprimées, beaucoup moins onéreuses, sont toujours hissées actuellement pour la fête des garçons ou pour, prosaïquement, vanter les mérites d’une société industrielle ou encore pour une promotion commerciale dans les grands magasins mais les motifs n’ont plus décidément ni la qualité ni le charme des anciennes