Paris – Fondation P. Bergé – Y.Saint Laurent – I –
Ces costumes sont ceux portés actuellement par les acteurs de ce théâtre encore si populaire au Japon, et bien que son public se restreigne de nos jours, les revues spécialisées sur les pièces et leurs interprètes-vedettes fleurissent toujours dans les librairies
J’ai assisté lors de ma première visite au Japon dans les années 1975 à une représentation de kabuki à Tokyo où les spectateurs n’étaient pas toujours bien attentifs à ce qui se passait sur scène !
Il faut dire que les pièces duraient plusieurs heures, que beaucoup de personnes allaient et venaient pendant le spectacle pour se dégourdir les jambes, bavardaient, mangeaient des O’Bento que les vendeurs ambulants proposaient dans le théâtre ou bien se passaient des petits billets sur lesquels ils s’esclaffaient
Une ambiance festive où tout concourait à l’émerveillement avec beaucoup de spectateurs en kimono, dans un brouhaha continu mêlé à la musique rythmée par les Shamisen, la danse, les cris et les combats sur scène, les claquements sonores des pieds sur les plancher de bois, les changements rapides de costumes et de décors, dans un délice de couleurs et de sensations
Depuis, j’essaie de ne pas manquer les troupes de Kabuki quand elles viennent donner des spectacles à Paris, bien sûr, il manque l’atmosphère du Japon, les spectateurs français …et Japonais étant bien trop sages !
Un autre spectacle au théâtre du Châtelet en 1997, mais les représentations étaient moins flamboyantes, traitant de drames d’amour et de devoir de la société bourgeoise, autres pièces du répertoire assez monotones (même pour les Japonais et mon mari s’est d’ailleurs endormi !) restait la splendeur des costumes !
Le Kabuki, théâtre chanté et dansé, est un grand classique depuis le XVIIe siècle mais sa valeur artistique fut longtemps décriée jusqu’à une visite de l’empereur Meiji à la fin du XIXe siècle qui lui accorda enfin ses lettres de noblesse
Bien des pièces souvent écrites par les acteurs, se moquant ouvertement d’une noblesse corrompue et de Samurais dépravés, étaient trop subversives au yeux des autorités shogunales en place, pour ne pas subir les interdictions de toutes sortes qui ont toujours jalonné son histoire
Les costumes, suivant les lois somptuaires qui défendaient de copier les vêtements de l’aristocratie au pouvoir, se sont alors diversifiés avec une somptuosité extravagante afin d’obtenir le plus d’effet théâtral possible, et finir par influencer la mode dans un juste retour des choses !
Les costumes luxueux, autrefois restant financièrement à la charge des acteurs, se sont fixés en fonction du personnage représenté et permettent aux acteurs d’acquérir la gloire attachée à un rôle particulier
Dans une pièce où deux Samurais rivalisent de combats pour obtenir les faveurs d’une belle courtisane, chaque acteur revêt le costume, Kitsuke, kimono porté sous d’autres vêtements et Haori, veste courte, personnifiant son caractère…
…ainsi le kimono aux hirondelles sous la pluie évoque la douceur et le romantisme du premier…
…tandis que le kimono aux nuages et aux éclairs soulignés d’or sur fond noir souligne la forte personnalité ou même les pouvoirs surnaturels du second personnage
Les costumes aux couleurs éclatantes et aux grands motifs destinés être vus de loin renseignent aussi le public sur le caractère emblématique de chaque personnage qui sont reconnus par leur tenue dès leur entrée en scène
Ma pièce préférée met en scène Sukeroku, un noble samurai chargé de retrouver le précieux sabre de sa famille dérobé par l’assassin de son père
Se faisant passer pour un débauché il fréquente les lieux de plaisir où il est aimé d’une courtisane de haut-rang dont le protecteur est justement l’abominable meurtrier
La pièce comporte quelques costumes extraordinaires comme celui du vieux mais riche rival, vêtu d’un kimono rouge brodé de dragons, s’inspirant des robes-dragon chinoises, qui exprime la puissance et le caractère dominateur du personnage
L’aspect tyrannique du personnage est accentué par les détails du kimono incluant dans les broderies des pièces métalliques étincelantes
Les costumes changent suivant les actes de la pièce, le kimono au décor de carrés brodés d’animaux aux fils d’or signale au public que le personnage est au faîte de la fortune et du pouvoir
La grande courtisane porte, au dessus de splendides kimonos, des Uchikake, sorte de kimono-manteau au décor fastueux …
…qui pèsent suffisamment lourd pour que deux assistants la soutiennent durant son entrée, surtout perchée sur des Geta ou socques de bois hautes de 20 cm !
Ces Uchikake s’inspirent des tenues sophistiquées des courtisanes du plus haut rang de l’époque Edo, abondamment représentées sur les estampes du temps
Les costumes extraordinaires des personnages féminins sont surchargés de motifs faisant allusion aux saisons généralement et ce jusqu’à l’excès…mais c’est le genre du Kabuki !
La complexité des vêtements superposés nécessitent l’aide de plusieurs habilleurs pour les changements de costume qui ont lieu sur la scène
Les habituelles décorations ornant l’entrée des maisons au moment du nouvel an japonais sont présentes sur cet Uchikake avec des pins, des bambous, des fleurs de prunier, une corde en fils métallisés et ses papiers argentés, des Temari et même une langouste en haut du dos symbole de longévité
Les costumes masculins présentent de grandes variétés comme celui de l’ Uwagi, kimono-manteau doté de larges manches ouvertes et d’un long Hakama, pantalon bouffant
Cet élégant costume au décor aérien de fleurs peintes sur une soie bleu pâle symbolise la légèreté d’un mari volage …
…Tandis que l’épouse trompée se languit dans un kimono blanc brodé de fleurs aux longs fils d’or sinueux
…La couleur du kimono accompagné d’un somptueux Obi est tout en demi-teinte comme il sied à une femme éprouvée mais qui reste digne
Dans une autre pièce où l’on voit trois frères s’affronter pour des questions d’honneur, l’un des protagonistes porte un kimono brodé de pins sous la neige pour souligner son endurance et sa constance…
… symboles empruntés à la nature si chère au cœur des Japonais, pour figurer les traits de caractères du jeune héros
Une pièce très appréciée des Japonais relate l’histoire d’un séduisant brigand et de ses comparses, la fin du drame voit la petite troupe encerclée par la police au bord d’une rivière
Alignés sur le rivage, les cinq bandits portent le même genre de kimono qui révèle, une fois les costumes du dessus tombés, des motifs symbolisant chacun leur caractère et leur passé
Les vagues blanches sur le kimono du chef de la troupe signalent qu’il est un brigand (jeu de mots entre vagues blanches et nom d’un brigand historique fort connu qui se prononce de la même façon)
Les éclairs sur le kimono de son complice indiquent que celui-ci, dans les combats, frappe de façon fulgurante !
Les grands motifs audacieux de ces kimonos sont obtenus par la technique de teinture Yuzen, véritable peinture sur soie au procédé si complexe mais admirablement maitrisé sur ces costumes aux couleurs éclatantes
Le Kamishimo, habit de samurai est l’un des costumes obligés pour les pièces à caractère historique, bien que leurs couleurs et leurs grands motifs s’écartent de cette réalité historique justement, les kimonos des guerriers étaient beaucoup plus discrets
De même pour le cinéma, de Kurosawa Akira par exemple, où les costumes rutilants sont faits pour rendre le film beaucoup plus attrayant !
Les héros nobles et valeureux se reconnaissent tout de suite au port d’un costume clair décorés de grands motifs dorés ou argentés
Les costumes à transformation et le rôle des Onnagata dans le prochain article…