Un périple bleu – Paris – Bibliothèque Forney 2015
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Cette exposition vient en complémentarité du livre :
« Indigo, le périple bleu d’une créatrice textile » de Catherine Legrand, beau livre passionnant que mon amie Annick de Brest m’avait chaudement recommandé l’année dernière !
Un voyage dans les pays pratiquant encore la teinture avec l’indigo bien que cette technique tend à disparaître inexorablement, remplacée par les colorants de l’industrie chimique, les vêtements traditionnels quant à eux reculant toujours plus devant un prêt-à-porter commun à toute la planète
Le bleu indigo, issu d’une plante courante dans le monde extra-européen dont le Japon a su tirer un parti extraordinaire, symbolisait de façon singulière les classes populaires
La classe paysanne contrainte par les lois somptuaires édictées par le gouvernement shôgunal et restées en vigueur jusqu’à la fin du XIXe siècle, n’avait le droit qu’à de rares couleurs, beige, brun et bleu, les motifs et les techniques d’impression restaient très restreintes
Les étoffes, souvent tissées de façon artisanale à la maison, étaient plongées dans des bains d’indigo afin de renforcer la solidité du tissu, car les vêtements de travail étaient destinés à faire un long usage
Les autorités ne permettant que des vêtements unis ou à rayures et quelques petits motifs floraux, les artisans en développant leurs propres techniques de tissage et de teinture laissaient libre cours à leur créativité pour les Katazome, les teintures au pochoir, les Shiborizome teintures en réserve et les Kasuri teinture ikat des fils
Le bleu indigo possède toute une gamme de nuances auxquelles les Japonais donnent des noms particuliers, ces camaïeux de bleus embellissaient avec le temps en se nuançant lavage après lavage
Les Japonais prêtaient à l’indigo d’innombrables vertus, son odeur caractéristique était censée éloigner les insectes et repousser les serpents, propriétés importantes pour les travailleurs des champs, et son pouvoir prophylactique affirmé n’était pas considéré comme superflu dans un monde où la médecine restait à l’état empirique
Les Boro, types de vêtements d’usage domestique, fruits de laborieux raccommodages et donc non destinés à être montrés, témoignent de la nécessité vitale des sociétés pauvres disséminées dans des régions au climat rigoureux de se protéger en ne laissant rien perdre des précieux textiles de cotons acquis à grand peine par le biais des colporteurs
Les couches de tissus de coton qui composaient les casques de pompiers étaient renforcées par le matelassage de petits points de Sashiko alignés sur l’ensemble de l’ouvrage de façon fort méticuleuse donnant l’illusion d’un tissage
Dérisoires protections de l’époque, les pompiers imbibaient d’eau leurs tenues avant d’aller remplir leur devoir de héros !
Les moindres bribes de tissu étaient recyclées, déchirées en lanières et de plus consolidées par des fils de récupération, elles pouvaient encore être tissées afin de confectionner des vêtements de travail à la texture épaisse pour renforcer la protection des paysans confrontés aux intempéries
Les couleurs des bandes de tissu de toutes provenances se trouvaient mélangées de façon aléatoire, les teintes douces des vêtements obtenus séduisent notre sensibilité actuelle, au contraire des sociétés anciennes qui ne rêvaient eux que de couleurs éclatantes !
Les sols des fermes paysannes n’étaient que rarement recouverts de tatamis, trop chers et trop fragiles, les planchers de bois rugueux recevaient des tapis en lirette confectionnés avec les mêmes bandes tissées sur des petits métiers étroits, les lés étant ensuite cousus entre eux pour agrandir la surface nécessaire
Ces tapis, du fait de leur poids important, ne furent tissés qu’en de formats réduits afin, pratique innée au Japon, d’être nettoyés commodément !
Le coton n’étant arrivé que tardivement au XVIe siècle au centre du Japon et plus tard encore, vers la fin du XIXe siècle dans les régions défavorisées du Nord, les fibres libériennes exploitées depuis l’antiquité étaient plongées aussi dans les bains d’indigo en prenant souvent de façon hasardeuse la teinte de bleu recherchée
Les catalogues d’échantillons de tissus, dans lesquels les artisans teinturiers et les tisserands gardaient une trace de leur travail renseignent de façon éloquente sur la diversité des textiles du Japon ancien
Les textiles anciens teints en indigo se trouvent encore fréquemment au Japon, dans les brocantes et chez les antiquaires mais les belles pièces, mêmes usées, décolorées et témoignant d’un vécu se monnayent maintenant à prix d’or
Le dilemme de les découper pour faire du patchwork reste entier !
L’indigo des minorités chinoises sera l’objet du prochain article
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Exposition Indigo – Un périple bleu – Bibliothèque Forney :
I – Le Japon
II – Les minorités chinoises
III – L’inde et le sud-Est asiatique
IV – L’Afrique et le Moyen Orient
V – L’Amérique centrale
VI – L’Europe