Voyage de printemps à Kyôto
Uji et Byôdô-in autre articles : I | II | III | IV
Notre visite au Byôdô-in se fit parmi une foule curieuse de voir enfin, après deux années de restauration en ce tout début d’avril 2014, le nouveau visage de ce temple si célèbre pour l’histoire de l’architecture au Japon
Le temple a enfin retrouvé son aspect d’antan après que des recherches archéologiques aient révélé que le monument était primitivement revêtu de couleurs éclatantes rehaussées d’or
Les couleurs des pigments originels rouge orangé ont été restituées plutôt en carmin, selon l’ancienne habitude de laquer en rouge toute la structure d’un temple d’après les modèles chinois de la même époque
L’époque Heian (794-1185) qui connut quatre siècles de paix relative, considérée comme l’âge d’or de la civilisation japonaise, était constituée d’une brillante aristocratie cultivée encadrant le pouvoir impérial dans la nouvelle capitale Heian Kyô, la ville de Kyôto actuelle
Les familles de la noblesse avaient l’habitude de se faire édifier aux alentours de la capitale, situées dans des sites bucoliques pour y passer l’été, de somptueuses villas comprenant des petits sanctuaires de dévotion privés
Fujiwara no Michinaga, ministre et gouverneur général à la tête d’un clan redoutable exerçant le pouvoir politique comme Kanpaku, régent de l’empereur, choisit la campagne d’Uji pour y faire bâtir au début du XIe siècle une grande propriété située sur une île formée par deux bras de la rivière Uji, comprenant un petit sanctuaire bouddhique familial
La résidence fut léguée à son fils Fujiwara no Yorimichi qui la transforma en temple bouddhique : Byôdô-in en lui ajoutant en 1053 un pavillon central dédié au Bouddha Amida
Deux nouvelles écoles bouddhiques virent le jour pendant l’époque Heian dont les doctrines rapportées de Chine par des moines entreprenants diffusèrent dans les classes populaires de nouvelles croyances basées sur la compassion divine
Vers la fin du Xe siècle, des troubles, brigandage et piraterie provoqués par des désordres économiques dus aux impôts supportés par la seule paysannerie, renforcèrent la conviction de l’arrivée imminente du Mappô, la troisième et dernière loi du cycle bouddhique correspondant à une période de chaos et de déliquescence de la société où la doctrine du Bouddha ne serait plus écoutée
D’après la date estimée de la mort du Bouddha historique, les lois bouddhiques ne durant chacune qu’un millénaire, le début du Mappô paraissait éminent et avait été calculé pour débuter en l’année 1052 !
Dans l’attente de cet évènement apocalyptique, une partie du clergé bouddhique de l’école Tendai enseignait le Jôdo shû « l’école de la Terre pure » en affirmant qu’une foi sincère dans la miséricorde d’Amida, le « Bouddha de la Lumière infinie » sauverait les hommes des périls des Enfers et les délivrerait du cycle inévitable des renaissances
Il suffisait de réciter avec ferveur le Nenbutsu, l’invocation à Amida, pour que tous les croyants sans distinction de classe soient accueillis dans le Gokuraku jôdo « le Paradis de la Terre pure »
Les chefs du clan Fujiwara, fervents adeptes du Jôdo shû, encouragèrent la construction de temples recouverts de somptueuses décorations donnant l’illusion d’entrevoir le Paradis d’Amida tel qu’il était représenté sur les Mandala
Byôdô-in, le « Temple de l’Égalité » (du secours envers tous les croyants) fut construit dans le style des résidences seigneuriales des IXe aux XIIe siècles
Dans l’architecture Shinden zukuri, de nombreuses dépendances secondaires se trouvaient reliées au bâtiment principal par des galeries couvertes mais à claire-voie, entourant un jardin avec une pièce d’eau au centre remplaçant la cour des constructions antérieures
Du complexe du temple comprenant de nombreux bâtiments tous détruits aux cours de guerres successives, il ne reste plus que l’édifice actuel, le Hôôdô « le temple du Phénix » prolongé d’un vaste jardin et intégré dans un site boisé
Le nom de Hôôdô, la salle du Phénix qui ne lui fut donné qu’au XVIIe siècle à l’époque Edo, vient des phénix en bronze doré qui surmontent le faîte du toit…
…et de la construction tout en longueur de l’édifice dont le centre prolongé d’ailes latérales évoque un grand oiseau aux ailes déployées, dont le curieux et long bâtiment continuant en arrière la salle principale constituerait la queue
Chûdô, la partie centrale de Byôdô-in abrite une chapelle consacrée à Amida avec une statue monumentale de bois doré (les photos en sont interdites), les murs conservent encore des traces de fresques polychromes et les colonnes massives des fragments de laque et d’or évoquant la splendeur du Paradis
Les piliers de Byôdô-in s’élèvent sur une terrasse de pierre assurant la fondation du temple, au-dessus des eaux d’un étang qui viennent s’alanguir sur un rivage semé de graviers blancs, espace symbolique de transition entre le monde profane et le monde spirituel
De chaque côté du pavillon central surélevé à deux étages dédié à Amida sama, courent deux galeries couvertes symétriques formées de trois baies à claire-voie élevées également sur deux étages
A l’étage, sur les angles des corridors coudés à angle droit, s’élèvent des petits pavillons dont l’emplacement respecte les impératifs associés aux forces cosmiques et divines
L’idée fondamentale d’isoler et en même temps de réunir les espaces, au Byôdô-in par les galeries latérales, reste une constante dans l’architecture classique du Japon
L’architecture traditionnelle Wayô, « de style japonais » de Byôdô-in bien qu’inspirée de la Chine, affiche quelques signes distinctifs comme des portes à vantaux en bois plein, des fenêtres carrées à treillis de lamelles de bois, des vérandas à balustres et des solives alignées parallèlement sous des toits en faible pente
L’étage-véranda des galeries est supporté par des colonnes au-dessus desquelles des consoles aux encorbellements de corbeaux triples perfectionnés représentent le plus ancien exemple d’architecture bouddhique au Japon
Les parties supérieures et inférieures des solives sont généralement creusées et courbées afin d’accompagner la pente et la courbure des toits
Dans cette architecture Wayô du Xe siècle, les poutres de soutènement traversent habituellement les colonnes et si les extrémités des solives se croisent au-delà de l’angle du bâtiment c’est pour faciliter et soutenir également la courbure relevée des extrémités des toits
Les toits sont recouverts de rangs de tuiles convexes alternées avec des rangs de tuiles concaves, parfaitement alignées elles soulignent avec élégance les courbes douces des toits
Les décorations sur les toits abondent en variétés de motifs intrigants bien que leur usage soit prosaïque…
…car munies de Toribusuma, une espèce de corne destinée aux oiseaux afin que leurs déjections ne souillent pas les figures protectrices des acrotères !
L’île sur laquelle s’élève le temple est reliée au rivage par deux ponts rouges…
…une passerelle reliant la terre ferme au petit pont donnant accès à l’île sacrée
Les visites « culturelles » des temples bouddhiques et des sanctuaires shinto se font toujours munis de notre Shuin chô, le carnet témoin pour recueillir la mémoire de notre passage !
Provenant de notre Shuin chô, souvenir de notre visite au Byôdô-in d’Uji !
Au-delà de l’enceinte de Byôdô-in, son jardin traversé, d’autres visites …
…de l’architecture encore ! et des cerisiers …toujours !