Quilt en tissus anciens japonais
L’idée de cet ouvrage est venue à la suite de ma lecture du dernier chapitre du Genji Monogatari où Kaoru « le Prince parfumé » tente en vain de revoir la belle Ukifune qui s’étant faite nonne refuse obstinément de revenir à la Cour
Un centre éclatant tel le rayonnement de la société de Cour opposé au côté ombreux de la montagne où se cache le monastère, les deux ne pouvant plus que difficilement se rencontrer…
…mais aussi comme un pont jeté par la modernité au-dessus du monde ancien qui reste toujours présent en filigrane dans toutes les activités contemporaines
Ayant depuis peu vaincu les scrupules qui me retenaient depuis si longtemps de tailler dans mes vieux tissus japonais, j’ai donc coupé un hexagone dans chacun des tissus de ma collection pour ce nouveau quilt
Encore un quilt d’hexagones car c’est une forme que j’aime particulièrement et que l’on retrouve si souvent dans la vie courante au Japon sur les décors des kimonos, les peintures décoratives des Fusuma, les objets artisanaux, etc…
J’ai combiné les tissus anciens avec des textiles artisanaux contemporains, en majorité des tissus à rayures pour kimonos féminins, rapportés de mon voyage à Aizu, car j’ai eu la chance d’y trouver quelques pochettes contenant des petits coupons assortis rayés et unis
Tous les bleus et les presque noirs sont teints en Aizome (vrai indigo) beaucoup de bruns sont teints, quant à eux en Shibuzome (au jus de kaki)
J’ai mêlé volontairement différentes techniques d’impression des tissus, shibori (nouage) Katazome (pochoirs) avec les tissages Kasuri (ikat) que j’ai groupé par affinité de style de chaque côté du quilt
En plus de réunir les hexagones de même technique de tissage ou d’impression, je les ai associé par dominante de couleurs autour d’un centre composé de « Sarasa » dont les teintes, rouge, bleu, jaune et brun donnent le ton à l’ensemble
Ainsi une progression nuancée va des bleus indigo tissés de rouge au bleus indigo comportant des motifs plus clairs sur la gauche du quilt…
…Tandis que sur la droite, les bleus très foncés et les noirs s’enchaînent aux différentes nuances de marrons et gris
Je n’ai pas hésité à mélanger plusieurs sortes de textiles, aux cotons majoritaires sont venus s’ajouter du chanvre, du coton et lin, du coton et soie et de l’étamine de laine, tous ces textiles n’étant plus fabriqués de nos jours
Comme je dispose de beaucoup de textiles rayés, j’ai privilégié délibérément d’orienter les rayures dans un seul sens, la verticalité satisfaisant mon goût pour la rigueur !
Pendant la séance de quilting en cours, je n’ai pas hésité à découdre et à remplacer un hexagone qui me gênait par son horizontalité, l’accent que je voulais mettre dans ce quilt n’étant pas celui-là !
Heureusement que j’avais pris soin de confier les marges de couture aux ciseaux cranteurs, ce genre de tissage s’effilochant très facilement
L’accent est plutôt donné par des jaunes acides placés assez bas qui suffisent à intriguer le regard qui parcourt l’ouvrage
Une petite bordure rayée rouge puis une large bordure en Aizome, lés venant d’un Juban (kimono de dessous) masculin, vêtement ancien bien usé et même troué par endroit que j’ai trouvé dans un magasin de kimonos à Kyoto, achèvent l’ouvrage
La bordure rouge est tirée d’un rouleau de 10 mètres d’Aizu momen pour kimono, tissu neuf avec quelques défauts minimes, trouvé à Kyoto également et qui date d’une cinquantaine d’années
La doublure est un tissu français bleu foncé à rayures acheté à Montmartre, un peu difficile à quilter à cause de son tissage serré mais qui a le privilège de ne pas jurer avec la face du quilt
J’ai quilté autour des hexagones avec différentes couleurs de fils Valdani, surtout le bleu foncé nuancé, que décidément j’aime beaucoup utiliser
Le prochain article présentera les Aizu momen, les textiles rayés d’Aizu dont la production ne subsiste encore que par l’obstination patiente de quelques passionnés
« Le pont flottant des songes » est aussi une nouvelle de Tanizaki Junichiro, écrivain réputé chantre de la perversité en France, alors qu’il ne fait que décrire avec beaucoup de raffinements les méandres tortueux de l’âme humaine, confrontée à la perte des valeurs ancestrales au moment où le Japon a accédé à la modernité au début du XXe siècle