Voyage vers le Sud
Monastère mérovingien puis carolingien très prospère, l’abbaye de Moissac fut au cours des temps plusieurs fois ravagée par des invasions successives mais elle connût un nouvel essor quand,en 1047, elle fût affiliée à la grande abbaye bénédictine de Cluny
Aux XIe et XIIe siècles, sous la conduite d’abbés remarquables les donations affluent, l’abbaye possède de vastes domaines et s’enorgueillit d’abriter une centaine de moines
Étape sur la route de St Jacques de Compostelle, le rayonnement spirituel de Moissac est intense mais les guerres successives amènent de nouveaux désastres et finalement sa décadence
Restaurée au XIXe siècle, elle reste un magnifique témoignage de l’épanouissement de la sculpture romane dans le Languedoc
Au portail si célèbre de l’église abbatiale, édifié au début du XIIe siècle, de larges voussures semi-circulaires englobant un tympan sculpté surmontent des pieds-droits et un trumeau qui abritent des statues rigides étirées en hauteur, de chaque côté de profonds porches reçoivent, sur trois registres, des scènes de l’enfance du Christ et des allégories moralisatrices
Le tympan met en scène le Christ dans sa gloire, imaginé d’après la vision que St Jean en donne dans l’Apocalypse, hiératique, paré de toute la majesté d’un souverain d’Orient, nimbé, couronné et vêtu à l’antique, les pieds reposant sur une mer de cristal, tenant le Livre et bénissant de la dextre, entouré d’anges de dimensions démesurées et d’animaux nimbés, personnification des quatre Évangélistes
Aucun autre édifice roman ne présente l’ampleur et l’effet saisissant que le sculpteur a su donner à la vision apocalyptique offerte à la contemplation des fidèles, la figure monumentale d’un Dieu terrible dont le trône domine l’assemblée des juges et dont la plastique imposante doit beaucoup aux figures antiques
Mais la stylisation très franche des figures n’exclue pourtant pas une sensibilité artistique confondante
Le fond antique sous-jacent en Languedoc explique la provenance en réemploi du magnifique bandeau à rosaces qui souligne le tympan
St Jean voit dans le ciel entrouvert le trône de Dieu entouré de 24 vieillards vêtus de robe blanche, couronnés d’or, tenant des harpes et des coupes d’or entre les mains
Les vieillards se tournent vers la Divinité dans des postures contournées, voire acrobatiques, les détails pittoresques des attitudes, des drapés et des attributs, la soumission des figures au cadre architectural caractérisent bien la sculpture romane du XIIe siècle
Sur les deux piédroits au tracé polylobé, de parenté mozarabe, réminiscence des pénétrations islamiques par la route des Pyrénées, s’étirent les figures d’Isaïe et de St Pierre tenant les clés du paradis
Des montants que subliment ces grandes figures surnaturelles de prophètes et d’apôtres, comme un passage de l’Ancienne Loi à la Nouvelle, message que les abbés de Moissac avaient à cœur de faire représenter de façon figurative à la porte de leur église
Trois couples enchevêtrés de lions et de lionnes, symbole d’une force ascensionnelle irrésistible, s’étirent sur le trumeau monolithique du centre du portail, pilier dont les autres faces portent des figures du Livre…
…dont Jérémie au visage serein encadré par les longues mèches ondoyantes de ses cheveux et de sa barbe, vibrant d’inspiration prophétique, d’une plastique accentuée par une recherche passionnée du mouvement et de vie, caractères identifiables du style roman du Languedoc dans ses plus belles réalisations
Sur les parois profondes des porches, de longs rectangles, réemplois de côtés de sarcophages gallo-romains, reçoivent les scènes de l’enfance du Christ…
…et la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare
Si l’Église militante régente sévèrement une iconographie chargée de l’édification des fidèles…
…elle concède bien des libertés aux artistes qui renouvellent avec une verve stupéfiante une grande partie du décor illustrant les grands thèmes religieux
Dans l’ébrasement du portail droit, le cycle consacré à l’enfance du Christ ne glorifie la Vierge qu’en temps que mère du Sauveur, l’Église romane en ce début du XIIe siècle s’étant relativement peu souciée du culte marial
Les figures fuselées de Marie et de Gabriel (une copie du XIXe siècle) dans l’Annonciation ou d’Élisabeth dans la Visitation restent solennelles, seul le dialogue est animé par la gestuelle des longues mains qui révèlent la parole de Dieu, éléments caractéristiques de l’iconographie romane
Les deux plaques de marbre de la Visitation, abritées maintenant à l’intérieur du cloître, sont aussi des réemplois de toits en bâtière d’un sarcophage gallo-romain
Derrière le tympan, le profond narthex aux massives colonnes engagées ouvre sur la nef…
…les chapiteaux du porche sont empreints de l’observation fidèle de la nature avec des animaux réels au caractère de puissance sauvage…
…jusqu’à une végétation campée avec une imagination florissante …
…où des scènes que les sculpteurs traitaient avec une liberté individuelle puisant leur inspiration d’un modèle certainement pris sur le vif
La nef unique de l’église n’a gardé de l’époque romane que son soubassement et ses premières chapelles en plein cintre, la reconstruction du XVe siècle l’a couverte d’une voûte en ogives…
…qui a reçu, avec les murs, après une récente restauration un décor peint assez curieux, dans le style des anachroniques repeints chers au XIXe siècle
Notre respect, lors de notre visite, pour la cérémonie religieuse se déroulant dans l’église, nous a seulement permis d’admirer une Piéta de la fin du XVe siècle très émouvante par sa simplicité absente de mièvrerie
Représentation stéréotypée mais familière aux fidèles qui ne pouvaient que méditer sur un drame reflétant les malheurs du temps où les épidémies de peste décimaient effroyablement la population
Mais que serait Moissac sans son célèbre cloître ? Cet article complètera donc la visite de l’abbaye