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Arrivée à Poitiers en fin d’après-midi, juste au moment où un petit concert de jeunes musiciens, musique instrumentale suivie de chants a capella d’airs sacrés du Moyen Age nous a agréablement accompagné dans notre visite de l’église
Notre Dame la Grande, en dépit de son nom, est une église d’importance modeste dont le gros œuvre date du XIe siècle, de multiples remaniements au siècle suivant dont une façade en aplat richement sculptée viendra ajouter une gloire dans le panthéon du Poitou roman !
Au XIIe siècle, on la dotera d’un clocher caractéristique qui influencera bien des architectes du XIXe siècle pour leurs pastiches sans imagination d’œuvres médiévales
Sur le clocher à base carrée à deux étages cantonnée d’une tourelle d’escalier, s’élève une rotonde ajourée d’une grande élégance surmontée d’une flèche conique couvertes d’écailles dressées en pomme de pin (restaurée au XIXe siècle)
La forme de la rotonde du clocher a probablement été inspirée par certains mausolées gallo-romains, Poitiers ayant conservé au Moyen Age bien des vestiges de son riche passé de métropole antique
La façade de Notre Dame est du type de la façade-écran, la division tripartite est sans rapport avec la structure interne de l’église mais a été un beau support totalement livré au ciseau des imagiers et des ornemanistes !
Comparée souvent à une plaque d’ivoire ciselée, elle garde beaucoup de charme en dépit d’une certaine surcharge
Au portail central répondent deux arcades latérales aveugles de chaque côté qui évoquent les arcs de triomphe ou les portes de villes romaines, encore des références au passé antique de la ville
Au-dessus du portail central des petites arcades décoratives, rappelant celles du rez de chaussée se pressent de chaque côté d’une grande baie, les arcatures superposées abritant des statues sont dominées par un pignon plat décoré d’une mandorle
Le motif qui orne le pignon célèbre le triomphe du Christ s’élevant au-dessus de son église représentée par les apôtres et deux évêques, c’est le Christ de la vision apocalyptique entouré du tétramorphe des quatre évangélistes
Les figures sont intercalées dans les écoinçons des voussures en une large fresque et au-dessus, sous deux rangées d’arcatures, sont logés les apôtres et deux saints encadrant la vaste baie autour de laquelle s’incurve harmonieusement la corniche
Le programme iconographique complexe fait appel au message théologique de l’Incarnation rédemptrice qu’expriment l’Annonciation et la Nativité
Les sculptures exécutées dans une tendre pierre calcaire sont soignées, pleines de vie, aux attitudes spontanées, aux drapés habiles, aux détails pleins de dévotion ingénue…
…malgré l’acharnement iconoclaste des Huguenots au XVIe siècle qui n’ont eu de cesse de détruire ces manifestations de piété populaire
La frise semble inspirée d’un drame liturgique, le cycle évangélique de l’Annonciation à la Visitation exprime par des moyens très simples, à la portée des fidèles, le mystère de l’Incarnation
La Nativité fournit l’occasion de montrer le nouveau-né serré dans ses bandelettes couché dans un berceau d’osier tressé, puis baigné par des servantes tandis qu’un St Joseph demeure bien songeur
La riche façade historiée multiplie les motifs sur les claveaux, les voussures, comme des rinceaux, des rubans plissés, des lévriers assis, des feuilles retournées en fer de lance, toute une grammaire ornementale si chère aux sculpteurs romans
Les chapiteaux témoignent d’une prodigieuse imagination à laquelle les monstres et autres animaux exotiques prêtent leurs formes cocasses ou inquiétantes
La nef construite dans les premiers temps romans du XIe siècle est étroite, sa voûte en berceau plein cintre surhaussé renforcée de doubleaux se trouve contrebutée directement par des collatéraux voûtés en arêtes presque aussi élevés que la nef
Primitivement couverte d’une charpente, couverture démodée à la fin du XIe siècle, la voûte en berceau nécessita de doubler les arcs des grandes arcades qui reposent sur de belles piles carrées cantonnées de quatre demi-colonnes portant haut les grandes arcades
Les bas-côtés mesurant trois mètres sont très amples par rapport à la nef qui ne mesure, elle, que six mètres de large
La nef, assez sombre, ne reçoit aucun éclairage direct autre que la lumière venant des bas-côtés
L’église n’a pas de transept mais un chœur avec déambulatoire et trois absidioles, une grande fresque romane décorant la voûte du chœur a, malgré les restaurations récentes, à peu près disparue
Les chapiteaux de la nef et du déambulatoire, seulement sculptés de feuillages ou de simples crochets d’angle, plus anciens que ceux de la façade se révèlent d’une grande sobriété
Les barbouilleurs du XIXe siècle ont largement abusé d’un décor peint « de style médiéval » tout à fait incongru, et hélas il est à regretter que leur matériau ait été de si bonne qualité !
Dans l’enfeu d’une chapelle de style gothique flamboyant du XVe siècle élevée pour abriter le gisant du grand veneur et sénéchal du Poitou Yvon du Fou, une splendide Mise au Tombeau a remplacé l’occupant premier délogé pendant des époques dites de troubles !
L’œuvre en pierre polychrome exécutée au milieu du XVIe siècle, avait été commandée par Renée d’Amboise pour orner sa sépulture dans l’église détruite de La Trinité de Poitiers
Cette Mise au Tombeau conçue comme une image funéraire incarnait certainement aussi la profonde dévotion de la commanditaire
Les figures de taille réelle, groupées de façon symétrique, aux détails soigneusement rendus, reflètent un pathos discret, les gestes sont retenus, les visages expriment une douleur résignée, la grande douceur contemplative des saintes femmes s’opposant au farouche réalisme des figures masculines
En descendant vers le Limousin, on se rapproche encore un peu plus du Sud …
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