Voyage vers le Sud
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Pour faire la route Paris – St Jean de Luz en cette fin d’un mois de mai plutôt frisquet, nous avions choisi d’emprunter un itinéraire jalonné de lieux que nous voulions voir ou revoir
Notre première halte fut pour aller admirer la basilique de St Savin, admirable exemple de la grande période des constructions romanes du XIe siècle qui émaillent encore toute la province du Poitou
En arrivant par une petite départementale, c’est le chevet de l’église abbatiale qui s’offre en premier au regard sur une hauteur surplombant la rivière Gartempe
Construction typiquement romane, le chevet s’étage en volumes et en courbes, de l’abside et des chapelles rayonnantes du déambulatoire du chœur jusqu’au clocher couronnant la croisée du transept
Les fenêtres des absidioles, encadrées par des colonnettes, sont surmontées de simples archivoltes pour tout ornement, les murs de l’étage supérieur renforcés par de petits contreforts sont, eux, dépourvus de décor
Le clocher-porche qui masque la façade supporte une haute flèche reconstruite au XIXe siècle
Le clocher bâti sur un plan carré est d’une austère sévérité, tempérée par deux étages percés d’arcatures à colonnettes décorées d’archivoltes, séparées par des corniches à modillons sculptés chargés de souligner les niveaux
La base du chevet de l’église, seulement visible en contournant l’édifice sur un petit chemin de terre coincé entre deux jardinets, se révèle très sobre décorée simplement d’une arcature aveugle en continu
La promenade y est tout à fait mélancolique, une végétation vigoureuse reprend ses droits entre les vieilles pierres moussues, dans une odeur de terre mouillée et de fientes de pigeons !
L’église abbatiale toute entière est un chef d’œuvre de puissance mais aux proportions heureuses…
…avec une nef sans doubleaux, élevée sur de hautes colonnes cylindriques peintes en faux-marbre de couleurs pastel aux chapiteaux élégants…
…des collatéraux et un chœur bien éclairés qui baignent tout l’édifice d’une douce lumière blonde chargée de souligner et de rythmer les surfaces murales en maçonnerie
Les peintures qui couvrent la nef en berceau en plein cintre s’animent ainsi sous la lumière que dispensent les fenêtres percées dans les collatéraux voûtés d’arêtes
Le chœur couvert d’une voûte en cul-de-four s’entoure d’un déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes…
…dont les baies percées sous la voûte se conjuguent avec celles des absidioles pour animer le sanctuaire
La flore et ses rinceaux est omniprésente sur la majorité des chapiteaux de St Savin, quelques autres corbeilles représentent des sujets héraldiques comme des lions affrontés empruntés aux traditions orientales dont les motifs n’étaient pas inconnus des sculpteurs romans
Des peintures couvraient autrefois presque toutes les parois internes de l’église abbatiale, la nef mais aussi le porche, la crypte et le chœur, travail d’ateliers simultanés sous la direction de plusieurs maîtres mais gardant une grande unité de conception et d’exécution
Les peintures de la voûte forment un remarquable ensemble vraisemblablement exécuté très rapidement, le travail des fresquistes devant se faire hâtivement et souffrant mal des reprises, aux environs de l’an 1100, au moment de la construction de l’édifice
L’adoption d’une nef en berceau lisse sans doubleaux, exception notable de St Savin, permettra de réaliser une vaste composition picturale dont les scènes n’étant plus compartimentées pourront se lire en continu
Les peintures atteignent une ampleur inégalée, réservée aux enseignements bibliques elles illustrent les scènes des deux premiers livres de l’Ancien Testament, développant l’histoire de l’Humanité telle que la Genèse la raconte depuis la Création jusqu’à Moïse, en longues bandes horizontales de chaque côté d’une frise qui sépare les registres sur toute la longueur de la voûte
Malgré l’indifférence à l’égard de la perspective, l’interprétation du texte sacré est rendue avec majesté, mais le style des personnages reste novateur et expressif
Une vision des hommes exprimée avec liberté, un sens du mouvement étonnant, les personnages aux jambes croisées ont l’allure dansante de la marche, les étoffes flottent, les drapés des vêtements dansent autour des corps longilignes
Le langage varié et expressif des mains cherche à convaincre, doigts levés pour la bénédiction, mains ouvertes pour la conversation, doigts tendus pour désigner un personnage
Une remarquable harmonie de couleurs est employée, des ocres jaune et rouge accompagnés de vert, des grandes touches de blanc et de noir pour faire valoir les contrastes, les ombres et les lumières, des rehauts blancs pour rendre perceptible les tons de la chair
Le style des peintures dans l’édifice varie selon l’emplacement et les thèmes iconographiques, les proportions différentes des personnages sont adaptées aussi selon l’éloignement ou la vision plus proche des contemplateurs
Les peintures qui recouvraient les chapelles du chœur se sont évanouies au fil du temps, quelques figures hiératiques, drapées du grand manteau à la romaine, se détachent encore de façon évanescente sur un fond bleu que cernent des arcatures peintes en ocre rouge semées de perles blanches, motifs décoratifs similaires aux fresques de la nef
Les peintures du narthex sont consacrées aux scènes de l’Apocalypse et rappellent les manuscrits illustrant le texte de St Jean, si répandus à l’époque romane
La représentation, sous le porche de l’église, de l’Apocalypse en images mouvementées était chargée d’impressionner les fidèles qui sortaient du saint temple en les incitant à amender leur conduite sous peine des châtiments de l’Enfer
Le style des peintures du narthex aux couleurs plus vives mais avec les mêmes motifs décoratifs que dans le reste de l’édifice atteste que les fresques ont été exécutées par les mêmes ateliers que ceux ayant œuvré à la voûte de la nef et ce, dès la construction de l’église
Si, durant quelques siècles, l’abbaye bénédictine de St Savin, protégé par les comtes d’Aquitaine, eut un rôle influent en Poitou, elle n’a plus d’attraits de nos jours que pour le tourisme ou pour les admirateurs d’un style de peintures anciennes souvent peu appréciées
En ce printemps assez morose, la petite ville de St Savin sur Gartempe semblait assoupie, notre promenade de fin d’après-midi ne nous a pas permis de rencontrer, dans les rues du quartier qui entourent l’abbaye, âme qui vive…
…et après le repas du soir pris dans un restaurant déserté pour cause de temps pluvieux, nous continuâmes notre déambulation nonchalante …
…près du cours paisible de la Gartempe, admirant l’antique pont de pierre duquel la vue de l’abbaye semblait se dissoudre peu à peu dans une bruine mélancolique
Le lendemain, nous étions prêts pour d’autres merveilles poitevines !
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