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Petit voyage de septembre à Chartres pour revoir la célèbre cathédrale…qui est en ce moment l’objet d’un chantier de rénovation
Le portail royal sous les bâches et à l’intérieur la première partie de la nef, le chœur, le déambulatoire et l’abside rendus invisibles bien cachés sous des échafaudages m’ont un peu contrariée mais cette très vieille Dame mérite bien qu’on prenne soin d’elle !
Chartres marque le triomphe de l’art gothique, elle est la première grande cathédrale qui, grâce à la mise en œuvre des arcs-boutants chargés d’équilibrer les voûtes, s’éleva jusqu’à 37 mètres de hauteur avec une audace encore jamais vue dans la France du début du XIIIe siècle
La construction de la cathédrale, édifice gigantesque d’une complexité et d’une légèreté jamais atteintes jusqu’alors, se confond avec le temps des croisades, âge de foi et de prospérité, âge d’or de l’architecture marquant l’accomplissement spirituel et matériel du monde gothique
Le « vieux clocher » dont l’architecture faite d’homogénéité et de sobriété passe avec virtuosité d’une base quadrangulaire à l’octogone par le jeu concerté des pinacles qui rompent les angles
Il contraste durement avec le caractère composite du clocher nord dont la flèche très ornée ne fut terminée qu’au début du XVIe siècle
La vision idéale du Moyen Age voyait Dieu, créateur de l’Univers, représenté comme l’architecte suprême faire de la cathédrale sa demeure ainsi que celle de l’Église en marche vers la Jérusalem céleste
Beaucoup de légendes, florilège de la cathédrale, ont favorisé les pèlerinages depuis le Moyen Age pour vénérer la Vierge, patronne de la cathédrale, pèlerinages populaires remis à l’honneur par Charles Péguy au début du XXe siècle
La sculpture au XIIIe siècle vient se loger aux deux extrémités du transept aux trois portes doublées de porches majestueux et profonds
Le portail sud du transept décrit le Jugement dernier dans une composition assez statique
Sur le trumeau le Christ debout, foulant aux pieds un lion et un dragon symboles du mal, incline vers l’humanité un visage marqué par la sérénité et la compassion tandis que les Apôtres qui lui font cortège s’affirment comme les témoins de la Loi nouvelle
L’aisance des gestes assouplis va de pair avec la rigueur frontale des corps aux vêtements drapés en plis multipliés qui s’arrêtent droit au-dessus des pieds inclinés
Aux portails latéraux, le style apparait un peu plus évolué sur la porte de droite dite « porte de confesseurs » sont représentés les Docteurs de l’Église d’un caractère emprunt d’un réalisme stupéfiant
Saint Martin, homme d’action plein de fougue et d’énergie, saint Jérôme le savant, homme de cabinet, petit et timide et enfin saint Grégoire au visage rayonnant d’inspiration
Monde plastique et admirables figures aux détails d’une perfection achevée, qui n’ont pas beaucoup d’équivalent dans leur siècle
Sur la porte de gauche dite « porte des martyrs », Roland, archétype du chevalier modèle et sans reproche est figuré en tenue de noble combattant, revêtu d’une cotte de maille et d’une tunique, la lance à la main et l’épée au côté
Cette statue d’un homme jeune et serein au visage de chevalier de si noble allure constitue un bel hommage rendu à la croisade
Roland est associé à Saint Étienne, premier martyr de l’église, avec la promesse que la Jérusalem céleste sera accessible aussi aux laïcs exemplaires qui défendront la foi en partant pour la croisade contre les infidèles
Les deux statues de Roland et de Saint Georges en armure de chevaliers insistent sur le soutien que le pouvoir séculier doit à l’Église
Tous les personnages des portails sont encore des statues-colonnes, alors que les deux chevaliers exécutés plus tardivement sont représentés bien campés sur les jambes, les pieds à plat sur leur socle, type idéal de la chevalerie du temps de saint Louis
Ce qui retient l’attention à Chartres, avec la beauté et la noblesse de l’architecture, c’est la splendeur de ses verrières aux couleurs étincelantes
En raison des travaux, quelques vitraux seulement offerts à notre admiration pendant notre visite… mais comptant parmi les plus intéressants
L’élévation de la cathédrale se compose de trois étages: des grandes arcades, un triforium aux arceaux brisés appuyés sur des colonnettes et des fenêtres hautes et larges qui occupent presque la moitié de la hauteur totale, divisées en deux parties ornées de vitraux et surmontées chacune par une rose à huit lobes
Le système de voûtement gothique reportant les poussées sur les piles, permet d’alléger la construction en évidant les murs et favorise l’agrandissement des fenêtres
L’abondante lumière colorée qui baigne le grand vaisseau contribue à lui donner une atmosphère chaude et vivante, celle dont rêvaient depuis si longtemps les architectes du Moyen Age
La lumière étant considérée dans les temps médiévaux comme un phénomène issu du divin, on rêvait de transfigurer l’architecture par le chatoiement de la lumière colorée
Les artistes du XIIIe siècle firent vibrer sur leurs verrières polychromes tous les éclats des pierres précieuses dans une transposition de la Jérusalem céleste chantée par Saint Jean dans l’Apocalypse
Au XIIIe siècle, l’essentiel du décor coloré se transporte donc dans les fenêtres et se substitue aux grands cycles de peinture murale des églises romanes, même si la peinture décorative sur les murs et montant jusqu’aux voûtes (presque totalement disparue) se devait d’être haute en couleurs pour lutter contre l’éclat des verrières
Toute la vitrerie, plusieurs centaines de baies vitrées, a été exécutée très rapidement dans les 30 premières années du XIIIe siècle, un grand nombre de peintres-verriers y déployant une intense activité
Le vitrail dont le rôle est de clore l’espace intérieur subit un changement de tonalité au XIIIe siècle, le bleu s’assombrit et le rouge devient plus ardent
Les rinceaux entourant les vitraux plus anciens sont abandonnés pour faire place aux à des motifs en écailles, en losanges ou en carrés découpés dans des verres bleus et rouges, ce jeu de fond donnant la tonalité à toute la fenêtre
La rose du transept sud fut offerte par le comte de Dreux duc de Bretagne et célèbre la glorification du Christ
Sous la rose, la représentation des quatre Évangélistes juchés sur les épaules des quatre grands prophètes rappelle que les Évangiles prennent leur source dans l’Ancien Testament mais qu’elles le dépassent
Pour meubler ces fenêtres hautes, de grandes figures en pied dans des bordures amincies sont nécessaires, leur taille et leur large dessin se conforment à la distance qui les éloigne des fidèles
La confrontation de l’Ancien et du Nouveau Testament est d’une richesse symbolique et mystique extraordinaire
Le programme iconographique était établi par des théologiens savants, répondant à une pensée chère à l’École de Chartres, et faisait appel à une connaissance approfondie des Saintes Écritures
Les émouvantes figures des Évangélistes, figures vivantes habilement enlevées, juchées sur les épaules des Prophètes à la force brutale, accentuée par la dureté des teintes, cheveux et barbes étrangement colorés, regards cerclés de plomb ajoutés à la franchise des drapés, sont d’une violence expressive mais chargée pourtant d’intensité spirituelle
Vers 1240 on achève de vitrer l’étage supérieur du croisillon nord avec une donation royale aux armes de France et de Castille
Les roses sont une création de l’architecture gothique, leur forme évoque le soleil, l’Univers que l’on imaginait circulaire, la roue qui tourne est l’image même de la vie
Le mouvement dynamique de la rose du croisillon nord est donné par le tournoiement des carrés sur la pointe
La rose, consacrée à la Vierge qui trône dans l’oculus central, est une donation de Saint Louis et de sa mère Blanche de Castille et porte leurs motifs héraldiques dans les écoinçons inférieurs
La Vierge, maintes fois représentée dans sa cathédrale, debout, couronnée et portant un sceptre est exaltée comme la souveraine du ciel, la médiatrice et l’exemple de toutes les vertus
Les cinq lancettes sous la rose sont consacrées aux personnages de l’Ancien Testament qui rappellent l’ascendance du Christ
Les compositions merveilleusement habiles et variées, à l’extrême qualité de dessin et de coloris, se détachent sur des fonds pourpre éclatants
Appelée peinture sur verre, le vitrail ressemble plutôt à une mosaïque formé de morceaux et teints dans la masse sertis dans des plombs qui les assemblent, le tout maintenu rigide par des fers
La peinture n’intervient que sous la forme de la grisaille, dessinant les traits d’un visage ou les plis des vêtements qui se trouve incorporée au verre par cuisson
L’exigence de l’échelle monumentale des fenêtres impose aux scènes figurées des innombrables panneaux à se loger dans des cadres simples, allongés en hauteur, ovales, demi-cercles, quadrilobes entourées de résilles colorées
Les vitraux, réalisés au fur et à mesure de l’avancement de la construction de la cathédrale bénéficièrent de la générosité des innombrables fidèles
On y voit la signature des donateurs, nobles et ecclésiastiques mais aussi corporations chartraines, qui contribuèrent à leur financement
Des corps de métier, représentés par des scènes d’artisans au travail figurent dans des médaillons au pied des verrières hautes
Les vitraux témoignent du souci de prêcher par l’image la doctrine de l’Église à un auditoire populaire et illettré en simplifiant les récits, en multipliant les exemples concrets, en insistant sur la dévotion et sur les sacrements
Les thèmes du repentir et du pardon se rencontrent très souvent, associés à l’exhortation à la vertu à travers les exemples des personnages de la Bible et de l’histoire édifiante des saints
L’association entre pèlerinage et croisade est évidente dans la cathédrale, surtout dans deux verrières situées dans des chapelles du déambulatoire, celle consacrée à l’apôtre Jacques le Majeur et l’autre à Charlemagne
Mon vitrail préféré a toujours été celui qui représente les scènes hagiographique de la vie de Charlemagne ! C’est mon grand livre d’images !
Ce vitrail est l’un des plus colorés, le style en est simple et noble, les contrastes des valeurs sont poussés au maximum afin de faire ressortir la beauté des plombs qui présentent la force de trait des meilleures gravures
L’empereur Charlemagne est devenu un personnage légendaire à l’aube du XIIIe siècle, glorifié par la littérature épique comme dans la fameuse Chanson de Roland
Il demeura une figure exemplaire car la dynastie capétienne se réclamait évidemment de sa descendance
La verrière de Charlemagne illustre sa lutte contre les infidèles à la fois en Terre Sainte et contre les Sarrasins d’Espagne
Le preux Roland se sacrifie à Roncevaux et par sa mort obtient la gloire céleste et le pardon de l’empereur
Le fameux labyrinthe perpétuait le souvenir du premier de tous, celui de la Crète et de son constructeur Dédale, considéré au Moyen Age comme l’ancêtre de tous les architectes
Long et difficile parcours du pêcheur vers le salut ou du voyage du pèlerin vers Jérusalem ou Compostelle, il servait de façon symbolique à des rites pénitentiels
Petit clin d’œil drolatique sur une façade de la ville tel un hommage rendu à toutes les figures peuplant la cathédrale
Une petite pause après la visite culturelle ?
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Voyage à Chartres – autres articles :
1. La cathédrale et ses vitraux
2. Par les rues, de nuit …et de jour
3. Mizuno Shunji ou l’art du Kiri-e, le dessin en papier découpé au Japon