Paris - Musée Cernuschi
Comme les articles de mon blog ne suivent pas le fil de l'actualité, un petit retour sur cette exposition terminée il y a quelques mois mais dont le sujet abordé trouve toujours une correspondance dans mes reportages sur le Japon !
L'exposition présentait des peintures réunies par un couple de collectionneurs américains, elle n'était pas, par conséquent, exhaustive de l'art pictural entier du Japon !
La présentation des peintures ne facilitait guère, en raison des spots d'éclairage sur les vitrines, la contemplation et encore moins le travail des photographes amateurs ! aussi mon reportage fait-il la part belle aux détails des œuvres exposées
Les arts au Japon ont toujours développé une relation étroite avec la nature mais une nature idéalisée inséparable de la poésie où les thèmes des saisons largement codifiés étaient chargés d'exprimer la sensibilité des artistes et les émotions des aristocrates-mécènes cultivés
Ces évocations du passage des saisons sont d'ailleurs toujours respectées de nos jours et dans beaucoup de domaines de la vie quotidienne
Les deux saisons les plus propices à être célébrées sont le printemps avec ses fleurs de pruniers, de cerisiers et de glycines tandis que les érables rougeoyants, les chrysanthèmes et la pleine lune associée aux sept herbes de l'automne magnifient de façon admirable cette troisième saison
Le thème des érables en automne est une tradition classique dans la peinture mais sur ce paravent l'artiste élabore une science de la composition d'ensemble hardie et afin de donner de la profondeur à son motif il joue sur les mouvements opposés et sur la forme dynamique des arbres qui assurent un équilibre
Les troncs puissants des arbres en vision rapprochée accentuent la fragilité des feuilles rougeoyantes venues combler si légèrement le centre du paravent
L'école Rinpa tire son nom du peintre et calligraphe Ogata Korin (1658-1716) au style original empreint de vigueur qui fut fort admiré au début du XVIIIe siècle et dont les artistes se revendiquant de l'école Rinpa ressuscitent les œuvres si fort appréciées
Si cette esthétique qualifiée de décorative, d'une stylisation audacieuse pleine de vigueur, aux couleurs vives appliquées sur des fonds de feuilles d'or et d'argent influenceront durablement les artistes jusqu'à nos jours, ce sont surtout les thèmes empruntés à la poésie classique mais traités de manière allusive qui seront privilégiés
Le sujet préféré des artistes de l'école Rinpa reste les compositions décoratives et poétiques de fleurs, d'herbes et d'oiseaux d'un réalisme minutieux peints sur des paravents ou sur des Fusuma, les cloisons mobiles des luxueuses demeures des habitants d'Edo
L'esthétique du courant pictural issue des œuvres de Korin ne s'est pas transmis, comme à l'habitude, par une tradition familiale de maître à disciple mais fut ressuscitée par des admirateurs passionnés mais indépendants
Sakai Hôitsu, issu de l'aristocratie militaire cultivée, dont la famille fut commanditaire et mécène du peintre Korin, était un fervent admirateur de l’œuvre de cet artiste et par affinité spirituelle il s'attacha à le faire connaître en publiant une compilation de cent de ses peintures à l'occasion du centième anniversaire de sa mort
Sakai Hôitsu, libéré des contingences matérielles et des préoccupations vulgaires, put consacrer toute sa vie aux joies artistiques car en parfait dilettante de la fin du XVIIIe siècle, il excella aussi bien dans la poésie, la calligraphie que dans d'autres arts d'agrément
Après avoir rendu hommage au style de Korin en copiant ses peintures, ce n'est que vers la fin de sa vie qu'il peignit de grands panneaux de fleurs et d'oiseaux où la nature s'exprime par une fraîcheur de coloris et une délicatesse pleine de poésie
La synthèse, perceptible dans les œuvre de Sakai, entre le raffinement et l'harmonie des motifs, la calligraphie et la poésie devient à cette époque un idéal décoratif nouveau au Japon
L'impression de relief des motifs et les dégradés de teintes sont obtenus avec la technique de Tarashikomi qui renouvelle avec des couleurs le procédé monochrome du lavis à l'encre de Chine
Le procédé Tarashikomi employé par l'artiste consiste à appliquer une couleur sur une autre avant que la première ne soit sèche afin de nuancer les surfaces unies et d'ombrer les motifs, s'éloignant ainsi de la tradition picturale chinoise
Sakai joue avec son support, des traits légers avec un pinceau moins chargé de pigments en laisse apparaître les parties claires qui s'intègrent dans la composition
Le luxe raffiné de la bourgeoisie de Kyôto, marchands d'étoffes enrichis dans le commerce avec la Chine mais nourrie de la tradition artistique de l'époque Heian, favorisa l'épanouissement de ce sentiment esthétique chargé d'exprimer l'élégance et l'esprit du siècle
Sakai Hôitsu illustra avec légèreté les thèmes poétiques célèbres de la littérature japonaise comme un épisode fameux des Contes d'Ise où la solitude d'un voyageur éloigné de la capitale est évoqué avec une subtile mélancolie
Le personnage, un aristocrate en voyage franchissant un col dans la montagne, écrit un poème destiné à sa femme pour lui exprimer la nostalgie due à leur séparation
La schématisation de la nature avec le défilé entre des rochers menaçants et la simplification des pins minuscules, la silhouette triangulaire de l'ermite accentuent par contraste le désarroi du personnage
Suzuki Kiitsu, né dans une famille de teinturiers, obtint par son mariage le statut de samurai et adopté par le clan des Sakai, il devint, grâce à sa prédilection pour la poésie et pour sa parfaite maitrise artistique l'ami et le successeur de Sakai Hôitsu
Ces paravents aux grues, à l'origine des Fusuma, les portes coulissantes des riches demeures bourgeoises, présentent deux groupes d'oiseaux se détachant sur un fond doré, mais bien qu'inspirées de l’œuvre de Korin, ces motifs sont interprétés de façon beaucoup plus libre
Le style original de Suzuki Kiitsu se caractérise par une composition pleine de vigueur où la liberté des lignes basée sur l'observation de la nature l'éloigne des représentations académiques d'un sujet récurrent dans la peinture japonaise
Une composition hardie et originale visant à l'effet décoratif où la profondeur de l'espace est suggérée par les groupements et les attitudes contraires des oiseaux, les poses naturelles des grues facilitant les échanges des regards suscitent une apparence de réalité
La suite de l'article fera une autre incursion dans l'univers pictural de l'époque Edo