Voyage de printemps à Kyôto
Voyage de printemps 2014 – Kyôto – Le site d’Arashiyama
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Au début du XIVe siècle, les affrontements pour la souveraineté opposèrent deux factions de la famille impériale, l’empereur Go-Daigo, un homme de fort tempérament essaya de secouer le joug des traditions et entra en conflit avec le Shôgun qui détenait alors le pouvoir
Les luttes armées qui s’ensuivirent permirent à un clan de guerriers, les Ashikaga de prendre à leur tour ce pouvoir en mettant fin au régime shôgunal déjà moribond de Kamakura
Le nouveau gouverneur du pays, Ashikaga Takauji en fin stratège, s’allia avec Go-Daigo Tennô, avant de le trahir et de l’envoyer en exil dans la province de Yoshino au sud de Nara, où celui-ci mourut en 1339 sans avoir pu revenir dans la capitale
Sur l’emplacement d’une résidence impériale construite à Arashiyama au XIIIe siècle, par l’empereur Kameyama et où Gô-Daigo Tenno avait passé son enfance, demeure laissée à l’abandon…
… Ashikaga Takauji fonda en cette même année 1339 un monastère consacré à Shaka Nyorai, le Bouddha historique Siddhartha Gautama, temple de la branche Rinzai du bouddhisme zen
Dans le monde empreint de superstitions de cette époque, Ashikaga Tadayoshi, frère et néanmoins rival de Takauji, rêva d’un dragon d’or volant au-dessus de la Hozugawa, la rivière d’Arashiyama, manifestation avérée de l’esprit de Go-Daigo, l’empereur défunt
Le nouveau Shôgun, pour effacer sa forfaiture, dédia alors ce temple à son ancien ami-ennemi et à la manière chinoise lui donna le nom de Tenryûji, le temple du dragon céleste
Pour financer la construction du Tenryûji, le Shôgun Takauji désireux de relancer les relations commerciales avec la Chine, autorisa les Tenryûji Bune, deux navires affrétés par le Tenryûji, à se rendre sur le continent pour en rapporter des marchandises de valeur, œuvres d’art, peintures et céramiques entre autres, recherchées comme objets de collection, dont les bénéfices à la vente permirent l’achèvement des travaux
Nommés et placés sous l’autorité directe du Shôgun, recevant des subsides des clans militaires, les Supérieurs de ces grands temples étaient destinés à jouer le rôle d’administrateurs du pays pendant les périodes de désordres ou de vacance du pouvoir
Le Tenryûji devint bientôt le plus important des Gozan, « les Cinq Montagnes » de Kyôto, centres religieux organisés en réseau du bouddhisme zen, où la vie intellectuelle était très intense sous l’autorité de moines-abbés qui étaient aussi écrivains, peintres et philosophes
L’enseignement de la culture chinoise, littérature et poésie dont ces temples se firent les propagateurs donna naissance au XIVe et XVe siècle à la Gozan Bunka, « Culture des Cinq Montagnes », et au néo-confucianisme qui imprègnera la société japonaise jusqu’à la fin de l’époque Edo
Bâti initialement au XIVe siècle, le Tenryûji connut bien des vicissitudes au fil des temps, presque tous les bâtiments disparurent dans des incendies mais furent à chaque fois reconstruits dans le style architectural classique du bouddhisme zen, les bâtiments actuels, à l’exception d’une porte d’entrée et du pavillon d’enseignement édifiés à l’époque Edo, datent de l’époque Meiji, fin du XIXe siècle
L’attrait de ce temple réside dans son jardin, comme pour beaucoup de temples zen à Kyôto dont les jardins sont presque toujours des re-créations s’inspirant de documents anciens
Le jardin est attribué à Musô Soseki (ou Musô Kokushi de son nom posthume) religieux bouddhiste qui s’engagea très tôt dans la propagation du bouddhisme zen
Comme il fut Supérieur de plusieurs temples, on lui attribue la création de quelques jardins remarquables de Kyôto
Le jardin du Tenryûji, temple dont il fut le premier administrateur, fut restauré au XIXe siècle mais reste un parfait exemple des plus anciens jardins de temples zen au Japon
Au XIVe siècle, au moment de l’aménagement du jardin, fut découverte la source de la rivière Sôgen qui alimentait l’étang, Soseki y vit un signe favorable et assimila symboliquement la toute première goutte d’eau de la source à la source de la pensée zen
Le jardin est un des premiers exemples de Shakkei, « le paysage emprunté », Musô Soseki innova en utilisant le décor naturel de deux montagnes comme arrière-plan de la composition, afin de donner au jardin par l’effet de perspective une image d’infini
Les jardins zen sont toujours situés au sud, devant le bâtiment principal du temple, généralement la résidence du Supérieur, afin que le soleil parcourt dans la journée la totalité de l’espace paysager, mais au Tenryûji, le jardin est exceptionnellement orienté à l’ouest, position choisie pour y inclure les montagnes à l’arrière du site
Les jardins zen, conçus comme des objets de contemplation, sont composés pour être vus d’un point fixe, résidence du Supérieur ou pavillon de méditation, au delà de l’esthétique, ils restent un moyen pour les moines de parvenir à une élévation spirituelle
Les pierres disposées savamment sur la rive opposée de l’étang incarnent un paysage méditatif, une cascade sèche et un pont protégés symboliquement par trois autre pierres d’une triade bouddhique, composition du Sôgenchi qui restera dans les époques suivantes une constante et un modèle à suivre pour les concepteurs de ces jardins de méditation
Généralement, c’est assis sur la véranda que l’on contemple le jardin qui n’est pas fait pour la promenade, celui du Tenryûji depuis quelques années fait exception, et l’on peut maintenant cheminer au bord de la plage de sable blanc ratissé qui s’étend entre les bâtiments et l’étang, une constante dans les jardins de ce type
Les îles, personnifiées par des pierres qui affleurent sur l’étang, sont disposées soigneusement afin de faire apparaître le plan d’eau beaucoup plus vaste qu’il n’est réellement
Les îles font allusion à la mythologie chinoise, moyens de locomotion des Immortels taoïstes, personnification du ciel et de la terre avec les îles grue et tortue, tout un symbolisme aisément identifiable car de nature constante dans ces jardins
Quittant l’étang, la promenade se poursuit dans le reste du jardin dont le chemin monte en pente douce, borné par de beaux pins et des pierres habilement disposées pour marquer des haltes de méditation
En ce printemps, ce sont les cerisiers qui, une fois passé le passage long et couvert qui amène à la salle d’études du monastère…
…enchantent le jardin de leur présence féérique !
Le jardin de promenade est planté de plusieurs dizaines de cerisiers dont la floraison printanière apporte la légère insouciance dispensée par la nature autour de bâtiments réservés à des occupations beaucoup plus arides
Le chemin se poursuit à l’assaut de la colline où la vue plonge sur les bâtiments abritant une statue de l’empereur Go-Daigo…
…à l’emplacement de l’ancienne résidence de son grand-père, l’empereur Kameyama qui a donné son nom à la montagne proche
Le soir tombait, un moine muni de deux plaquettes de bois qu’il entrechoquait, parcourait le jardin pour signifier que le temple allait fermer et qu’il était temps pour nous, à regret, de regagner la sortie !
Le Tenryûji, est un grand complexe qui abrite dans son espace, d’autres temples secondaires chacun muni d’un petit jardin…
…ce sera l’objet de la suite des articles sur Arashiyama
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Voyage de printemps 2014 – Kyôto – Le site d’Arashiyama :
I – Arashiyama
II – Le Tenryûji
III – Le Kôgenji
IV – Autour du Tenryûji